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Des mondes de musiques

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À JACQUES 

Sylvain Barou

Je ne suis toujours pas capable de parler mais en revanche je me sens un petit peu en mesure d’écrire, alors allons-y, même si je ne suis pas forcément plus doué pour ça !
Ça commence un jour de printemps 1993 ou 1994, je ne sais plus, j’ai 15 ans, encore tout boutonneux timide et gauche.

 

 


Sylvain Barou - Photo Eric Legret


Je suis au stage de La Chapelle-Neuve dans le Trégor (la Chap’ pour les habitués), avec ma flûte et les craquelins bien ouverts comme disent certains, participant au stage de flûte traversière en bois de Jean-Michel Veillon, mon père était sans doute là aussi, avec son violon, à écouter les précieux conseils de Christian Lemaitre ou Fanch Landreau... (Mais également à surveiller que je ne sois pas tenté d’échanger mon verre de jus d’orange contre le muscadet frais servi généreusement aux participants à l’apéro du midi.)
A cette époque je suis davantage branché par Matt Molloy et Paddy Keenan que par Mme Bertrand ou Gus Salaün... Mais durant cette année-là c’est la folie en Bretagne, on ressent une flamboyance musicale démente, je découvre des groupes qui me marquent immédiatement et pour longtemps (Kornog, Barzaz, Den, Gwerz, Pennoù-Skoulm, les prémices de Skeduz, Skolvan, Storvan, Alain Genty, Ar Re Yaouank, Carré Manchot... Et j’en passe des tonnes).


Mon envie de jouer bouillonne dans mon ventre, j’ai la chance de faire des sessions avec Ronan Le Bars, et même un Ronan Pellen aux cheveux longs jouant du violon à cette époque. 
Jean-Michel laisse en moi une empreinte immense, plus qu’un maître, il devient pour moi un guruji ou ustad comme on dit dans d’autres cultures que je découvrirai plus tard... Sans parler de ce que j’apprends sur l’instrument, on me recommande ce que je dois écouter pour progresser et ouvrir mes horizons. 
Il me parle d’un disque « JACQUES PELLEN - CELTIC PROCESSION ». Ça vient de sortir, tout le monde en parle, il faut l’écouter... 

Celtic Procession en 1998. Jacques Pellen, Kristen Noguès, Erik Marchand, Jacky Molard, Paolo Fresu, Fred Guichen, Jean-charles Guichen, Dominique Molard, Jean-Michel Veillon, Ronan Le Bars, Stef De Vito et David Pasquet. - Photo Eric Legret

Je finis par trouver le dit album avec mes parents chez je ne sais quel disquaire, métier presque disparu aujourd’hui. Et là les premiers sons sortent, s’emparant de moi dès les premières micro secondes, je découvre cette guitare, dont le son semble faire des kilomètres de profondeur et dessinant des paysages étranges au lumières parfois sombres, parfois brûlantes, décrivant des ficelles qui s’entremêlent et se démêlent avec des mouvements me faisant penser parfois aux fonds marins. 
Bien sûr je suis impressionné par ce que jouent Jacky et Patrick Molard que j’admirais déjà grandement à l’époque, j’y découvre aussi d’autres musiciens. À 15/16 ans Je ne connais pas grand-chose du jazz, j’en ai une vision simpliste, floue et caricaturale presque. Tout ce que je sais, c’est qu’à l’écoute de cet album ma chair se dresse au contact du son de Kenny Wheeler (trompette) Eric Barret (sax) Peter Gritz (batterie) Riccardo Del Fra et Gildas Boclé (contrebasse), et voilà qu’une nouvelle porte s’ouvre dans mon monde et mon âme bien que trop juvénile ne me laisse d’autre choix que de la franchir. 


Par chance la même année, Celtic Procession joue lors d’un festival de Jazz à Grenoble ou j’habitais avec mes parents à l’époque (ce concert était à la Rampe à Echirolles je crois.) Je n’en crois pas mes oreilles, et mes yeux... Ça sonne comme le disque, je peux enfin mettre des visages animés sur des sons qui m’étaient déjà précieux. Je suis un peu interloqué par les grands et excessifs gestes de bras du fameux Jacques et de ses présentations au micro plutôt énigmatiques. Je n’ose pas aller le voir à la fin pour le féliciter... La timidité peut-être, ou son petit air de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou ont sans doute eu raison de ma volonté d’aller le saluer ! 
Les années passent et je dévore cette musique. Chaque album sur lequel figure le grand et mystérieux guitariste, il me le faut absolument.
« Triptyque » me transperce, « Sorserez » me fait vivre un rêve éveillé, puis il y a Condaghes, Celtic Procession live, « Digor » de Soig Siberil, et bien sur les disques de Jean-Michel... Je deviens accro au son de cette guitare, notamment de la 12 cordes qui me fait souvent et encore aujourd’hui penser à une tempête de cristal. Plus tard l’album Ephemera (2003) fut un choc immense. 


Les années passent, je suis à Rennes vers 99, je deviens déjà musicien professionnel à ce moment-là, toujours branché à fond musique irlandaise comme un vrai geek, je multiplie comme à mon habitude les voyages vers l’île verte mais en Bretagne on joue aussi de la musique irlandaise dans les pubs avec Loïc Blejean et dans quelques festivals. On fait toujours pas mal de sessions, il y a des rendez-vous immenses comme le festival de Kleg ou Lorient. J’ose jouer à mes premiers festoù-noz, il y a Roland Conq, Stéphane Morvan, Jérôme Nedelec, Erwan Hamon, Janick Martin... les années défilent, je suis dans des groupes, on a la niaque pour tourner et à cette époque-là il y a des dates... Sualtam, Gwazigan, David Pasquet, Jean-Charles Guichen, je fais des grosses scènes avec Denez Prigent ...

Je cherche, j’expérimente et mes chemins se tournent déjà vers l’Est puisque je travaille la musique indienne à la flûte bansuri, j’écoute de la musique turque, ayant toujours eu une propension naturelle à me tourner vers les musiques modales, question de goût et de personnalité.
Ronan Pellen revient habiter à Rennes on commence à jouer ensemble, je me dis que j’ai de la chance qu’un tel musicien veuille bien m’accompagner. 
Puis vient l’été 2006, Jean-Michel Veillon n’est pas disponible pour un concert de Celtic Procession au festival de SINES au Portugal, alors on me demande de le remplacer ! Cette nouvelle m’a rempli de joie autant qu’elle m’a glacé le sang : j’avais plutôt intérêt à être à la hauteur ! 
Je bosse les morceaux comme un fou. Jacques me poste des partitions mais je n’ose pas lui dire que je ne sais pas lire la musique. Alors j’écoute les enregistrements, je scrute chaque seconde, et plus j’avance plus je me dis que mon niveau est un peu juste et que je n’ai pas intérêt à foirer. Pas le temps pour le groupe de répéter en Bretagne alors on répète à l’hôtel à Sines la veille du concert. 
Jacques et Ronan sont là, il y a Etienne Callac (basse) Karim Ziad (batterie) Jacky Molard (violon) Erik Marchand ainsi que Geoffroy Tamisier (trompette) qui était un peu comme moi à l’époque car il devait remplacer au pied levé Paolo Fresu malheureusement absent. 
On commence à répéter dans une des salles de réunion de l’hôtel dont Jacques semblait apprécier la qualité (J’ai découvert que c’était pour lui une condition très importante du bon déroulement d’un concert) 


On bosse toute la journée, j’essaie au début de ne pas trembler ni de me planter (En même temps c’était un peu comme demander à un violoniste de jouer devant Grapelli sans broncher. C’était juste impossible !) Jacques me rassure en me disant que j’avais l’air de connaître les morceaux ! Ouf...
On continue, il me demande « Et ça tu sais jouer ? » (Bien sûr que oui je savais, je l’avais écouté des milliers de fois ce morceau.)
Vient le moment du concert. Le fait que je me retrouve à jouer à jardin à côté de Jacky Molard rajoute à mon trac. Et bim ! Ça commence, on attaque par Ephemera, je suis déjà surpris par le son de l’ensemble, épais comme un volcan, et ces cordes que j’affectionnais déjà tant qui résonnent sur la place portugaise, remplie de milliers de curieux, étonnés par cette musique un peu extra-terrestre par rapport au reste de la programmation. On continue par Straws, puis la ridée, le Fisel, Lotus Feet de John McLaughlin, Karim joue un solo à tomber par terre, puis vient Alerte, la berceuse de Kristen, Steredenn, et on finit par la gavotte Serjan Major... 


Quelle expérience, soulagé d’avoir réussi à jouer sans trop massacrer les thèmes et les structures , je suis content, même si le concert n’est pas parfait, gonflé à bloc et fier, on fête ça dignement car les portugais savent accueillir. (Et on appelle Bertrand Dupont, le manager de l’extrême, pour dire que le concert s’est bien passé évidemment !)
En rentrant à la maison je sens une énergie nouvelle monter en moi, je veux jouer cette musique. J’apprends à donner plus de poids à mon jeu, j’essaie de faire moins de fioritures, d’ancrer mon son, un peu plus dans la terre et de jouer un peu moins « dans le sens du poil » tout en essayant d’améliorer mon sens de l’improvisation. Cette expérience me nourrit, comme un nouvel organe qui pousse en moi, je sais à ce moment-là que plus rien ne sera jamais pareil.


Avec Jacques on reste en contact. Il a l’idée de monter un trio avec Geoffroy et moi, on reprend du répertoire de toute sa discographie. 
En 2007 Kristen quitte ce monde. C’est dur même si je n’ai pas eu la chance de la connaître personnellement. À la même manière que Jacques elle a laissé une empreinte tellement forte. J’écoute ses albums et je comprends enfin à ce moment-là de nombreux aspects du jeu de guitare de Jacques et sa conception de l’harmonie. 
En 2009 le festival de Cornouaille me propose une carte blanche, j’invite de chers amis musiciens que j’admire beaucoup, Gilles Le Bigot (guitare) Ronan Pellen (cistre), Liz Carroll (violon), Stephane Morvan (flûte), Youenn Le Bihan (bombarde) et Keyvan Chemirani (zarb) dont j’étais grand fan déjà à l’époque. Je propose à Jacques, mais malheureusement le festival n’avait pas de budget supplémentaire. Jacques décide de venir quand même, avec sa 12 cordes, quel cadeau ! Quelle générosité ! J’en suis touché et gêné à la fois et je lui avais proposé de prendre mon cachet mais il avait bien évidemment refusé. Cette création établissait les fondations d’un répertoire que nous enregistrons 2 ans plus tard sur mon premier album, réalisé à St Cadou dans les monts d’Arrée avec comme noyau dur Ronan, Jacques, Julien Stevenin et Keyvan Chemirani. Mon jeu est encore un peu trop terne, rapide, pas assez lumineux, pas assez posé et charnu, et peut-être avec trop de volonté de prouver quelque chose ?

Mais l’expérience me donne confiance pour continuer sur cette lancée. Cela nous amène à 2011, s’en suivent quelques beaux concerts, de cette collaboration naît une certaine amitié et affection avec Jacques, je perçois l’immense bonté et générosité en dessous cette mince carapace qui je pense l’aidait à évoluer et à se présenter en société, peut être que lui devait sentir de son côté mon manque d’expérience, mais aussi une grande et sincère soif d’apprendre et il a naturellement donné beaucoup de son temps pour m’expliquer et me faire progresser en me confrontant à des morceaux difficiles, et en me faisant écouter chez lui plein de trucs ... Abercrombie, Scofield, Charlie Haden, Egberto Gismonti, Fripp, Ben Monder, l’organiste Jehan Alain, Nik Bartsch, les premiers albums de Dan Ar Braz ... Tout en préparant des soupes ou des artichauts à la vapeur qu’il affectionnait tout particulièrement, avant d’aller à quelques mythiques soirées Brestoises dont seule cette cité magique a le secret.

On fait quelques beaux concerts en trio avec Geoffroy Tamisier, comme Jacques disait encore l’année dernière : « On a fait que des bons concerts avec ce groupe », lui qui était un éternel insatisfait, j’étais tellement content de cette remarque. Je commençais à bidouiller pas mal les effets, les pédales et les Harmonizers Eventide sur la flûte et ça lui plaisait beaucoup. J’avoue un peu secrètement et avec amusement que c’est surtout pour lui que je le faisais ! On a fait quelques concerts de cette formule en quartet également avec notre ami Prabhu Edouard au tabla, sous le nom osé de Thali Gang.

J’ai le souvenir de ce concert à Brest pour Atlantique Jazz, ou le train de Prabhu était tellement en retard qu’on a du faire les balances devant le public juste avant de jouer dans un chapiteau à l’extérieur du Quartz, et je me souviens de cette remarque incroyable de Jacques au micro avant de commencer le concert : « Est-ce qu’on peut arrêter avec cette odeur de cochon grillé, ça me déconcentre énormément ». C’était tout lui ! Capable de sortir le truc le plus improbable possible.
On retente quelques années bien plus tard l’expérience de ce groupe avec cette fois Trilok Gurtu à la batterie, rejoint plus tard par Gildas Boclé à la contrebasse pour un concert au TNB de Rennes. 

 


Les années passent, les projets aussi, je l’invite sur plusieurs disques, avec Dónal Lunny (Avec qui il avait déjà croisé le manche dans l’Héritage des Celtes de Dan Ar Braz) Dónal aimait énormément Jacques et me l’a répété encore il y a 2 jours au téléphone. 
Avec Xavier Boderiou on travaille sur un album consacré à la musique de Piobaireachd (le disque Morenn) sujet que Jacques avait déjà bien exploré avec Patrick et Jacky Molard. Ronan nous invite sur un disque passionnant : Ganga Procession, qui rend hommage à ses influences indiennes dans lequel Jacques propose de reprendre quelques-unes de ses compositions emblématiques (Maro song, I can get no sleep, Tali) avec un parfum nouveau. 


Je repense également à quelques concerts en duo qu’on a pu faire, ou j’avais intérêt à m’accrocher, le répertoire étant très sportif. Je l’embarque également dans une aventure « Interceltique » et à courte vie, « Dán » un collectif de musiciens irlandais, écossais et bretons produit par le festival Celtic Connections de Glasgow et qui a fait quelques beaux concerts. 
J’ai enfin l’occasion de découvrir sa curieuse passion pour les bains de mer en plein mois de Février, son addiction au thé : « Je ne bois que du grand Yunnan ! ».

Jacques Pellen, Eric Barret (Sax) - Photo Bill Akwa Bétotè

Son aversion pour les « photographes live : « Bientôt ce seront eux les vedettes ! » disait-il, son talent fou pour l’aquarelle, que je découvre avec une grande surprise lors d’une visite à la maison alors qu’il se préparait, avec sa compagne Armelle, pour le concours Couleurs De Bretagne qui avait lieu à Guémené-sur-Scorff ce jour-là. Même dans ses dessins je constate quelque chose qui est propre à sa musique aussi : s’affranchir du temps et de l’espace, avec une honnêteté presque déconcertante. 
Le plaisir de rencontrer ses potes Manu et Philippe, et bien sûr l’ami d’enfance Pat Peron qui en plus d’être un super clavier est le sonorisateur entre-autres du groupe Offshore de Jacques avec Karim Ziad et Etienne Callac, que je rejoins en 2015 et avec lequel on sort un album en 2017 « Shorewards » produit par Paker Prod. 

Quelle excitation de faire partie de ce groupe à l’énergie colossale, malheureusement trop peu soutenu alors par les festivals, comme de nombreux autres projets et propositions de Jacques, ce que je n’ai jamais pu comprendre d’ailleurs. Cela est sans doute le lot difficile d’artistes de cette qualité. 
De 2017 à 2019 nous enregistrons, jouons… On a la chance avec Ronan de jouer l’an dernier au Vauban en première partie de Jacques pour la sortie de son magnifique dernier album A-hed an Aber également produit par Paker Prod. À vrai dire j’attendais depuis longtemps qu’un tel album de Jacques sorte, guitare solo avec ses inspirations du moment, différentes de celles d’il y a 10 ou 20 ans, son retour sur la côte a certainement eu un impact sur le son. 

Sylvain Barou - Jacques Pellen - Offshore - Photo Eric Legret

Suite à ce concert on s’est trop peu revu et je le regrette amèrement. Je jouais énormément et passais tout mon temps dans des avions, des trains et des chambres d’hôtels, alors que Jacques bossait lui aussi beaucoup, en trio avec Dan Ar Braz et David Le Port, avec Manu Lann Huel, ou avec Julien Stevenin et Hugo Pottin, et sur des nouveaux disques encore aujourd’hui inachevés, on était d’ailleurs en train de travailler à distance sur des enregistrements pour des albums à venir, notre dernière conversation datant du 25 Mars, je ne me serai jamais douté une seule seconde que 1 semaine plus tard, tu prenais un aller-simple pour le cataclysme qui nous a tous mis KO ce mardi 21 Avril 2020 ! Tu n’as pas eu d’enfants et pourtant nous sommes nombreux à nous sentir orphelins aujourd’hui, paralysés par le chagrin. 
Sache Jakez que je ferai en sorte de porter cette lumière que tu m’as apporté dans chacun de mes souffles, et cela jusqu’au bout de l’histoire. 
Je suis reconnaissant envers Armelle d’avoir si bien pris soin de toi ces dernières années. 

PS : Je remercie aussi celles et ceux qui ont lu jusqu’au bout sans trouver ennuyeuse ou inintéressante mon histoire écrite avec mes mots souvent simples, celle de ma connexion avec le grand Jacques. Il y a peut-être un peu trop de « moi je » mais chacun a eu sa propre histoire, différente et riche avec lui, je souhaitais garder ce texte pour moi, et peut être que toi aussi tu aurais préféré, étant donné ton désir de discrétion que j’ai toujours respecté du mieux que je le pouvais. Mais je pense qu’en ces temps, cela fait du bien de partager de tels sentiments qui nous ont fait vibrer et qui sont des pans entiers de notre existence sur cette terre.

 

Jacques Pellen - Photo Eric Legret 

PS2 : Je me permets de partager une autre petite « Pellenade » (C’est comme ça qu’on appelait, soit ses sorties fulgurantes ou des phrases de guitare totalement signées) ou il m’envoie comme ça, net, avec son accent caractéristique : « Alors comme ça on joue avec le Rocco Siffredi de la guitare maintenant ? » En parlant du concert que je venais de faire ce jour-là avec Nguyen Le dans le groupe de Prabhu Edouard.

Une autre pour la route : Après un concert, un homme visiblement ému de ce à quoi il venait d’assister s’approche de Jacques et lui dit : « Monsieur, vous jouez merveilleusement bien de la guitare ! » Visiblement étonné par ce compliment qui lui semblait étrange, Jacques rétorqua : « Ah bin ! À 60 ans ça serait quand même dommage de mal jouer quand même ... »

 

 

 À écouter sans médération !


KENAVO JACQUES PELLEN !

Frank Tenaille (Directeur artistique du Chantier)

Nouveau coup dur à la musique bretonne qui a perdu récemment la chanteuse Louise Ebrel et le musicologue-ethnologue Donatien Laurent : le musicien Jacques Pellen, 63 ans, vient de nous quitter victime du Covid-19 à l’hôpital Morvan de Brest qui fut aussi celui qui essaya de sauver le chanteur Christophe. Orpailleur sonore, nourri familialement de Bartok, Debussy, Messian, Poulenc, Ravel ou l’œuvre de l’organiste Jehan Alain, avant de se sentir en symbiose avec les univers des Keith Jarrett, John Mac Laughlin ou Pat Metheny, il avait été impacté par la révolution sonore bretonne des Alan Stivell et consorts et la rude école des fest-noz. Dès lors, adepte d’une esthétique jazz sous pollinisation bretonne, le guitariste brestois qui alliait une inspiration rare, éclatante en improvisation, et un éclectisme d’approches qui a fécondé toute la création armoricaine, trois décennies durant, sur les registres jazz, folk, celtique ou classique. Y ajouter une humilité, déconcertante parfois, reflet de son caractère taiseux et de ses doutes, et l’on avait un homme singulier, touchant, pétri de talent et altruiste dans ses conseils. Bref très attachant.

Pour preuve de sa géographie mentale, mélange de couleurs de la Mer d’Iroise et de granit du Pays de Léon, ses enregistrements ou le rôle qu’il joua dans nombre de collectifs, particulièrement dans l’aventure de Celtic Procession (enregistrée à l’origine sur le mythique label Silex). Ceux qu’il avait croisé sa route étaient légion : Melaine Favennec, Annkrist, Dan ar Braz, Kristen Noguès, les frères Molard, Eric Barret, Erik Marchand, Soïg Sibéril, Riccardo Del Fra, Kenny Wheeler, Paolo Fresu, Henri Texier, Karim Ziad, Sylvain Barrou...

Nous avions eu le bonheur d’avoir reçu Jacques Pellen au Chantier, à Correns. D’abord en duo avec Eric Barret puis avec une création, lyrique et tellurique, imaginée à l’origine avec feu sa compagne, la harpiste Kristen Noguès, et réalisée avec Annie Ebrel et le Quartet jazz-rock électrique One Shot, « Ar Rannoù / Les Séries ». Rien moins que l’adaptation du texte d’ouverture du Barzaz Breizh, soit le dialogue pédagogique entre un druide et un enfant, sorte de récapitulation en douze questions et douze réponses, des doctrines druidiques sur le destin, la cosmologie, la géographie, la chronologie, l’astrologie, la magie, la médecine, la métempsycose. Dernièrement, Jacques Pellen avait publié un album intitulé « A-hed an aber » (Sur les rives de l’estuaire) ».

Une balade au pays des abers, inspirée par Gershwin et Kristen Noguès, des airs irlandais, bretons, et des compositions personnelles. « Une sorte de bilan très personnel » disait il... Onze instrumentaux impressionnistes et cristallins, colorés comme ses peintures. Ses six et douze cordes se jouant des frontières des styles, étirant l’espace du son, façon d’affirmer une inaliénable liberté.