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Des mondes de musiques

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Alan Lomax

par Henri Lecomte

Alan Lomax cherche depuis des années à analyser quantitativement les musiques du monde entier, en les mettant en relation avec certaines structures des sociétés dont elles sont issues. Si son système des "cantometrics" n'a pas recueilli l'adhésion unanime de ses confrères, il reste en tout cas l'auteur d'une ambitieuse tentative quasiment unique et qui mérite certainement d'être prise en considération.

-Homme des musiques traditionnelles, reconnu par le Gouvernement, comme le montre la remise du "Presidential Award For The Arts", vous avez travaillé deux ans au Musée de l'Homme sur la première discothèque des Musiques du Monde ?

Oui, il s'agit de la première Carte de la Musique Mondiale, publiée par Columbia en 1957 ; un travail de 7 années composé de 14 disques avec cartes, photos, textes, qui est aujourd'hui devenu la base de l'enseignement de l’Ethnomusicologie aux Etats-Unis. Le premier disque était avec Gilbert Rouget sur l'Afrique et c'est à ce moment que nous nous sommes rendus compte d'interprétations similaires entre les Pygmées et les Boschimans, malgré leur éloignement de 3000 km, similarité que nous avons retrouvée entre les cueilleurs indiens, les Aïnous, qui sont la première population du Japon, les Youkaghir leurs cousins, un groupe de cueilleurs du Nord de la Sibérie, les Negritos de Maloubie et un groupe de Nouvelle-Guinée. Notre recherche sur la polyphonie constituait un bouleversement dans l'histoire musicale.

-Votre carrière a tout de même commencé aux Etats-Unis avec votre père ?

Effectivement, mais pour moi elle aura commencé en 1950. A l'université j'ai étudié la philosophie, la méthode scientifique m'intéressait, et j'ai écrit ma thèse sur Charles Peurse. J'ai utilisé les médias comme un outil d'expression pour les minorités. C'est le but que j'ai toujours donné au folklore, notamment dans ma période d'humanisme avec Pete Seeger, Woody Guthrie et mon père.

-Vous aviez des rapports étroits avec Folkways ?

FoIkways était dirigé par mon copain Mo Asch. Il faisait ce que je n'avais pas le temps de faire. C'était mon double d'un certain point de vue. J'avais fait des disques avant lui. Il a utilisé mon expérience. Il a fait des choses merveilleuses. Il est mort en 1989. Le folklore permet de symboliser l'existence d'autres personnes que nous en marge de la masse, ce qui est primordial pour nous. Toutes les cultures ont leur importance. Toute ma vie, j'ai cherché à les faire mieux connaître. C'est pourquoi je travaille toujours avec les médias comme la radio. En travaillant sur ces disques avec Columbia, j'ai compris comment je pouvais solidifier les bases du folklore avec une approche scientifique. Et c'est après 6 ou 10 ans que j'ai trouvé les fondements des Cantometrics. En 1953, en Espagne précisément, j'ai découvert les premières bases. J'avais voyagé en Espagne pendant neuf mois du Sud au Nord, et j'avais vu qu'on pouvait diviser l’Espagne en voix fermée au Sud et en voix ouverte au Nord. Du côté des Pyrénées, on chante avec une voix ouverte comme les Basques, les Asturiens, les Galiciens. Au Sud, la voix se ferme de plus en plus. Et j'ai constaté, voulant sortir le soir, que les portes sont plus fermées quand on va vers le Sud et qu'il est très difficile d'avoir des contacts. En Andalousie, les portes sont en fer forgé et les belles Andalouses sont protégées par le fer forgé. J'ai vu que ce … (Alan Lomax imite un chant flamenco) est un signal de l'homme à la femme, qui souffre d'un système social qui empêche les contacts. Ce n'était qu'une idée seulement. J'avais testé un peu toutes les voix en Espagne et j'avais pris ça comme hypothèse, comme Nataletti en Italie. Mon voyage en Italie devait tester cette hypothèse, de la Sicile et la Calabre jusqu'au Nord. Entre parenthèses, une de mes découvertes était qu'il y avait trois zones en Europe : méditerranéenne, centrale de la Russie au Pays de Galles où on chante en chœur, et le Nord où on chante en solo. Ce sont les grandes régions de musique vocale en Europe.

-Avec beaucoup d'exceptions ?

Ah oui, ce n'est pas géométrique. Ce sont des tendances culturelles, comme en Scandinavie, aux Pays-Bas, au Nord de la Bretagne, en Irlande, où on chante en solo. Au Sud de l'Angleterre, en Cornouaille, dans le Sussex, au Pays de Galles ce sont des chœurs. Ça fait partie de l'Europe Centrale. Je l'appelle la vieille Europe, l'Europe des villages communautaires. Avant que le Nord et la Méditerranée ne développent leurs cultures, l'Europe était probablement entièrement chorale. C'est pourquoi on trouve partout des exemples de chœurs. Les sommets sont au Pays Basque, en Sardaigne, dans les Abruzzes, dans le Caucase.

-En France, il y a très peu de musique chorale paysanne ?

Elle a été conquise d'un côté par l’Italie, par la tradition méditerranéenne, de l'autre côté dominée par les Normands, etc..., la ballade. Mais il y a tout de même des chœurs dans le Sud-Ouest, dans les montagnes ou en Bretagne.

-Dans le Morbihan ?

Oui.

-Mais pas dans le Léon, le Tregor ou la Cornouaille ?

C'est une tradition celtique. On chante en solo. J'ai vu tout ça pendant mes années ici mais j'ai essayé de faire le test et j'ai écrit à Rome en 1955 un essai présentant au monde cette idée du chant vocal selon le ton de la voix, le solo et le groupe et l'intégration du groupe. Si le groupe est très bien intégré, comme dans le monde slave, ou s'il est très diffus comme en France, en Bretagne, ils ne chantent pas d'une seule voix, mais avec plusieurs voix. On entend les individualités du groupe. J'ai présenté ça pour la première fois en italien dans la revue «Argumenti». L'essai a été refusé par l'«International Journal of Folk Music» nettement, comme ça.

-Pourquoi?

Sans raison, on disait que ça n'avait pas d'intérêt. C'était la première présentation des «Cantometrics». Les gens travaillaient toujours sur la notation, qui n'est qu'un aspect de la musique. La mélodie est un aspect intéressant de la musique mais ce n'est pas le seul. Dans d'autres parties du monde, ce n'est pas le centre d'intérêt. Quand je suis revenu aux U.S.A., mes amis anthropologues ont vu cet article et m'ont dit : «Vous êtes anthropologue». Et j'ai fait mon premier article dans le «Journal of Anthropology». J'avais trouvé la façon de faire une carte mondiale de la musique humaine. C'était la conclusion de mon travail avec les disques. J'avais écouté toutes les musiques, l'Australie, la Nouvelle Guinée..., les Peaux Rouges des deux continents, je connais bien la Sibérie, l'Extrême-Orient, la Chine, le Moyen-Orient, l'Europe… c'était la première vision systématique. Mon premier article dans le «Journal of Anthropology» était la première vue générale de la musique traditionnelle. Ça a été un grand succès dans ma profession, parce que je suis anthropologue. J'étais arrivé au but de ma vie. J'avais commencé en tant qu'humaniste, mais je cherchais à faire quelque chose de plus solide, à comprendre pourquoi Woody Guthrie était la bonne voie à suivre en Amérique pour la partie blanche, et le Golden Gate Quartet la bonne voie dans la partie noire. Pourquoi ?

J'avais quelques petites réponses. Mes amis m'ont invité à dîner et m'ont dit : «Lomax, il faut arrêter maintenant. Il faut arrêter de déconner. Il faut retourner à l'école et devenir un universitaire ou autrement tu es fini». Alors, j'ai décidé de faire ça. Ils m'ont donné un an. Je suis retourné à l'Université et pendant environ six mois j'ai rencontré des gens qui m'intéressaient, tout le monde a été merveilleux avec moi. J'ai fait quelques conférences, étudié entre temps, me suis saoulé quelquefois, et j’ai trouvé où je me situais. Je ne savais même pas que ça intéressait quelqu'un, à cette époque. J'avais toujours été un loup solitaire, un cavalier solitaire, seul dans ma voiture, mais j'ai découvert de très nombreuses choses merveilleuses. Entre temps, la science de la communication avait fantastiquement avancé aux Etats-Unis. Vous ne connaissez pas la Buffalo School ? Absolument formidable, avec George Trager, le théoricien, avec Ed Hall, qui a étudié les distances entre les personnes. Il est très connu dans le monde. Raymond Goodwhistle, qui a étudié les «Kinesics», le langage corporel avec la même structure que la linguistique, en analysant des enregistrements à 24 images/seconde, étude très difficile, mais absolument solide, comme la structure de l'atome. Il est toujours vivant. C'est mon professeur. J'ai suivi un séminaire avec lui, ça m'a changé la tête. Après ce séminaire, je suis rentré chez moi, et j'ai fait ça, en un été, en 1940. Il m'a montré, m'a révélé l'importance du non-verbal, mais dans un mode systématique parce qu'il m'a montré qu'avec chaque mot va un mouvement du corps qui le supporte, le souligne ou parfois le contredit. Il connaît tout ça, avec une méthode absolument sûre, systématique. Si vous avez le courage de le lire, il peut vous montrer comment faire tout ça dans les plus petits détails ; c'est la chose qui m'a le plus impressionné dans ma vie parce que j'ai vécu avec le non-verbal depuis que j'ai commencé à travailler avec mon père. Je suis passé de la philosophie, des mots, au complet non-verbal, en écoutant des enregistrements, en écoutant des gens chanter, en choisissant quand intervenir, tout ça est non-verbal mais je ne savais pas ce qu'il y avait là dedans, je pensais en termes de talent mais il fallait s'accrocher à une branche, une racine, un rocher ou quelque chose et j'ai réalisé que tout à coup je voyais le point principal c'est à dire que l'art, c'est discipliner le non-verbal et ça, c'est la seule chose importante dont je me souvienne de toute ma vie, que ce que fait l'artiste est de manier le non-verbal de la même manière qu'un écrivain de théâtre manie son texte.

Et c'est ainsi que le musicien manie les notes de son morceau, le danseur la partie corporelle ; dans le théâtre les choses cohabitent. Et le folklore, l'importance du folklore réside entièrement dans la transmission de ces traditions très élaborées de modelage du non-verbal, et ce que j'ai trouvé c'est que les civilisations essayent de préserver leur tradition esthétique. Depuis 1962 je n'ai pas arrêté, jour et nuit, de travailler à cet idéal. Ça m'a fait comprendre le blues, le chant des Aborigènes australiens, tout. J'ai découvert graduellement quelques éléments dans cet énorme univers de l'inconnu, j'ai découvert des choses plutôt solides.

-Votre méthode permet de juger si une exécution est adéquate à sa propre culture ?

Je pense que je n'ai pas assez travaillé sur ce problème, mais l'étude du matériel peut permettre d'apprendre à distinguer le bon et le mauvais sans connaître la culture, sans connaître les Cantometrics. Elle permet de faire ressortir le meilleur mais pas de dire ce que je ne peux m'empêcher de dire, que ceci vient d'Europe, ou de Malaisie ou d'ailleurs. Et c'est le second point le plus important, que les grands changements dans l’Art viennent des rencontres avec d'autres cultures. Tout le monde parle de modernisation pour le Tiers Monde mais pour le Tiers Monde la modernisation consiste en l'adoption des standards euro-américains et c'est tout. Il y a très peu de modernisation qui vienne exclusivement de l'intérieur d'une culture.

En Afrique, lorsqu'on parle de modernisation c'est d'une influence des Antilles.

-Mais il s'agit d'un retour ?

La modernisation consiste à suivre les modèles européens, que ce soit la musique moderne ou le jazz. Mon système est conçu pour faire ressortir les tendances culturelles fondamentales et en premier la présentation des patterns (modèles) culturels, l'établissement de l'identité culturelle et puis la réinformation là dessus, et leur donner vie afin que la culture ne se fatigue pas d'elle même et qu'on ne dise pas : C'est le vieux monde, les artistes ne font rien de nouveau. Il faut restimuler la culture.

-Mais dans beaucoup de cultures, les musiciens ne se considèrent pas comme des artistes ; l'art n'est qu'une petite partie de la fonction de la musique, par exemple dans les rites du peyotl…

Oui, mais il y a quelqu'un qui mélange les choses de manière appropriée, et l'artiste, qu'il ait une fonction estimée ou non, est la personne qui est là avec le tambour, qui démarre le chant à la bonne hauteur ou au bon tempo etc. : il a une adresse technique.

J'ai toujours constaté que celui qui faisait arriver les choses n'était pas une personne des plus remarquables. Vous savez quand la grande musicologue française, Ann Chapmann, a enregistré la dernière Ona (1), la dernière femme. C'était une femme ordinaire, qui a donné naissance à toute la mythologie du peuple Ona et toutes leurs chansons. L'écouter c'est comme écouter le temps. C'est une artiste merveilleuse, quoiqu'il en soit, la dernière personne de la plus vieille culture de l'antarctique, la culture Ona d'Amérique du Sud.

Et j'ai trouvé que toutes les personnes que j'ai enregistrées, au fond de leur apparente simplicité, faisaient des choses étonnantes au niveau du tempo, de la hauteur et de la manière d'accrocher les mots à la mélodie, et ça c'est de l'art, cette adéquation entre la culture et le matériel.

-Comment choisissez-vous les caractéristiques d'une culture ? Par exemple au Japon un même instrument, le shakuhachi, est joué rubato pour le Honkyoku et avec un rythme mesuré pour le Sankyoku.

Eh bien, basiquement, c'est aussi stupide qu'un scrutin politique. Nous avons commencé à écouter toutes les musiques du monde, les premiers je pense. Personne avant n'avait écouté toutes les bandes. Après en avoir écouté des centaines et des centaines…

-Mais à cette époque, on enregistrait peu et le choix venait tout d'abord de la personne qui avait fait l'enregistrement.

J'appelle ça la timidité moderne. Je ne pense pas que ce soit très intéressant. Je pense qu'il s'agissait d'un réel progrès sur la génération qui n'avait pas de magnétophones et je peux aussi avoir une certaine confiance; la plupart des gens qui ont fait les enregistrements que j'ai écoutés étaient des spécialistes et les zones où ils enregistraient étaient les plus représentatives.

-Ça dépend beaucoup des informations. Si vous vivez longtemps dans un pays, que vous connaissez la langue, c'est différent, mais beaucoup de disques ont été enregistrés par des gens qui ne restaient pas longtemps. Vous avez eu un informateur très spécial au début de votre carrière. Je pense à Jelly Roll Morton…

Jelly Roll connaissait la musique. La musique était la musique. Tout le monde était familier avec elle. La musique est une expérience publique, mais je pense que la chose curieuse est que le folklore est une musique cachée, dont les profils ne différent pas beaucoup des profils publics. J'ai trouvé que c'était important. J'ai été frappé par ça, en Italie, où j'ai enregistré intensivement des chants funèbres, des chansons d'amour, des berceuses, des chants de travail ; ils étaient identiques à la base. Tout dépend du style de la culture, de la communication, de la fonction…

J'étais un vieux fonctionnaliste dans ce domaine, mais je pense que le moins important est la fonction. Par exemple, sur mon propre terrain qui est la musique noire du Sud, autrefois les Noirs, bien qu'esclaves, formaient des communautés intégrées, séparées des Blancs, dans une situation presque africaine où le groupe était important. Les bals, la religion, tout était affaire de groupe et les chants étaient presque tous des chants de groupe ; et en se déplaçant vers la société blanche les chants en solo sont apparus, comme les blues et même les gospels. Il y a une démarcation temporelle claire, une expérience nouvelle, et les orchestres sont apparus. D'une autre façon, avant il n'y avait pas d'orchestre, ils n'avaient que des ustensiles de cuisine et toute la musique de cette première période a cette qualité d'être une musique de groupe, a capella, avec un accompagnement des mains et des pieds.

Ensuite on arrive à la période suivante où dans les villes apparaissaient les orchestres et à la campagne les blues en solo.

 

Personnellement je ne suis pas très impressionné par ces critiques. De bons échantillons vous racontent toute l'histoire . Ce que je dirais des Cantometrics c'est que c'est une sorte de trame. Ceci n'est pas vrai pour les autres systèmes musicométriques et je veux insister sur le fait que j'ai répertorié mes 4000 chansons, elles ont toutes un nom et un numéro et les cultures sont également nommées et numérotées. Il est possible de revenir aux échantillons et c'est ce que je pense que les gens vont faire. C'est le premier échantillonnage d'un monde assez vaste et je ne veux pas que vous m'engagiez dans une controverse sur les échantillons. J'ai lu l'autre jour dans un très beau magazine : quand les gens ne peuvent pas discuter de la substance, ils discutent de l'échantillonnage. J'ai vérifié ceci depuis que j'ai commencé à publier. Je ne savais pas avant de lire ce magazine que c'était un gambit typique intellectuel. J'ai essayé de constituer un échantillonnage valide avec la meilleure expérience possible. Je pense que j'ai travaillé aussi dur que n'importe quel spécialiste de la musique du monde et j'ai essayé de faire un bon échantillonnage.

La musique afro américaine est très intéressante. Au Brésil, vous avez des communautés qui parlent des langues africaines et vous avez des choses africaines qui y sont reliées et vous pouvez retrouver d'où viennent ces chansons. Le langage a vécu et la chanson également. Dans d'autres parties de l'Afro-Amérique vous avez la langue créole, mi-africaine mi-européenne, et vous y trouvez les mélodies de type africain en même temps que les styles africains d'exécution avec une prédominance du groupe et du village, et quand vous écoutez des créoles, comme aux Etats-Unis, vous n'avez plus d'airs africains, vous avez le type mélodique africain, le type litanie.

-Parce qu'ils n'avaient pas de tambours ?

Non, je pense que c'est surtout parce qu'ils ont tous appris à parler anglais. Ils n'ont pas développé un créole comme à Haïti.

L'intérêt principal de toutes les musiques africaines réside vraiment dans les différents styles corporels, et ceci a survécu dans toutes les communautés noires jusqu'à récemment. Il y a un flux d'énergie du milieu du corps jusqu'aux membres et la flexibilité du tronc, la posture inclinée vers l'avant, les pieds largement écartés et le fait que l'africain mette l'accent sur le milieu du corps. Parce que le corps est cadré par les vêtements, le corps n'initie pas, la tête n'initie pas, et le milieu du corps initie l'action. Si vous voulez boire quelque chose, vous pouvez être sûr que vous savez d'où ça vient et ça a donné la possibilité d'avoir différents systèmes de coordination, c'est la partie de fonds pour le système rythmique. Ainsi il est possible pour eux de faire des miracles en termes de coordination de voix, de mains, de corps, de pas et tout ça, ça dépasse tous les autres gens du monde, sauf peut-être les Polynésiens. Ça donne un terrible avantage, les retombées du mouvement, le système d'observation qu'ils ont.

Ce qu'on peut découvrir dans les pop songs américaines aussi bien que dans la musique traditionnelle, nous l'avons également étudié dans des films où l'on peut comparer des interprétations par des Blancs et par des Noirs ; et il y a une grande source de différence sur toutes les scènes depuis 1900. Les Blancs essayent de participer mais ils ne savent pas comment le faire, sauf avec le coeur. Et ici encore, nous avons le mode social empirique : c'est le système de maniement du corps qui continue très fort en dépit du transport en Amérique et devient maintenant le problème central des Etats-Unis, voyez-vous, parce que nous avons deux sociétés, une noire, une blanche et cela bien que nous ayons une intégration politique et morale. Les patterns non verbaux équipent les gens qui réagissent de différentes façons pour tous les problèmes de la vie et c'est une chose étrange pour nous et dans une certaine mesure également pour l'Europe, et je pense que mon système peut beaucoup contribuer à comprendre ça, à en tenir compte, si les

gens comprennent ces différences, si les Noirs nous comprennent mieux, si nous les comprenons mieux et utilisons les termes de base de l'ensemble des aspects créatifs non verbaux, tout ça partira et c'est ce que j'espère qui viendra de mon travail.

-Travaillez-vous sur les relations entre les Choreometrics et les Cantometrics ? Avez-vous fait des calculs statistiques ?

Je sais maintenant qu'il y a des relations. J'ai un chapitre dans mon nouveau livre, appelé «Dancing», sur les relations entre les variables des Choreometrics et des Cantometrics. C'est vieux, vous savez.

-Etudiez-vous la manière dont les gens apprennent le chant ou la danse dans leur enfance ?

Nous avons fait quelques observations, non pas pour montrer que c'est un état préliminaire à l'état adulte, les enfants commencent par apprendre le système des adultes, mais nous n'avons pas pensé que c'était vraiment important, parce que la culture est une chose adulte. Je crois que la culture adulte est le fait le plus important. Les enfants l'apprennent et s'ils ne le font pas, ils meurent, dans la plupart des sociétés. C'est l'adaptation adulte qui compte, pas celle des enfants. Je pense que les systèmes d'éducation des enfants sont liés aux adultes. Il y a beaucoup de choses sur l'éducation des enfants dans mes études. Dans l'anthropologie américaine, nous avons établi des tableaux comparatifs des systèmes d'éducation des enfants, j'ai mis tout ça dans mon ordinateur et j'ai découvert quelques données sur le système d'éducation des enfants par rapport au comportement musical, pas autant que vous ne pourriez le penser.

En fait, c'est beaucoup plus lié au fait que les adultes contrôlent l'éducation des enfants. Par exemple, la principale différence se trouve entre la chasse et l'agriculture et ensuite l'industrie.

C'est très frappant, je pense que le système d'éducation des enfants diffère principalement selon les fonctions économiques principales de la culture dans son entier. Les chasseurs sont très différents des agriculteurs.

-Et les rôles sexuels ?

Les rôles sexuels diffèrent aussi. Dans les sociétés de chasseurs, on entraîne les enfants à être effrontés, à défier leurs parents parce que tout repose sur l'individu, on apprend aussi aux enfants à être très indépendants, à dire va te faire foutre à leurs pères, les mâles, parce qu'il faut qu'ils deviennent sûrs d'eux-mêmes. Dans les sociétés agricoles, les enfants ont tendance à se conformer, à être punis s'ils n'obéissent pas. Il ne s'agit plus de mathématiques, ce n'est plus des choses divinement inspirées qui appartiennent aux racines éternelles de l’Univers, ça appartient à la part chaude et complexe d'une société, des gens ayant des relations les uns avec les autres et qui essayent d'exister dans leur propre réseau écologique sur la planète et c'est une partie extrêmement importante de cette adaptation. Ce n'est pas une attitude qu'ont les intellectuels ou que le génie introduit. Ça a toujours été là en tant que part essentielle d'auto-adaptation et je crois que c'est très important maintenant parce que tous les gamins vont réagir au fait de se trouver au milieu de ce bouillonnement, et pour cette raison c'est très significatif. Ils ont des responsabilités et nous avons aussi la responsabilité de ces gens, de nos vies en ce moment. La seconde chose, c'est l'intégration de l'art dans la société. Zola, Balzac et Shakespeare, Dostoïewski et Tolstoï et tous les plus grands que nous connaissons, ont passé toute leur vie à se maintenir à un moment ou à un autre de l'histoire culturelle et sociale. Il n'y a rien d'aussi complexe qu'une société, et l'art peut résumer sa réalisation et ce que je vous donne la chance de faire avec mon système c'est de faire des diagrammes rapides de la plupart des musiques de l'humanité qui, réellement, coïncident avec les objectifs principaux d'une société.

-Pourquoi avez-vous mis en avant la musique vocale ?

Eh bien, je pense que c'est la première. Je crois vraiment que les autres types de communication viennent avant le chant, mais le chant est très ancien. Je pense que les gémissements, les grognements, la parole, la culture adulte sont venus d'abord et que le chant est né de ça. Je pense que la mélodie vient du gémissement, du grognement et du langage. Maintenant, c'est une chose indépendante, merveilleuse, super semblable à ces choses, une manière de parler plus poétique et plus forte que celle qu'on utilise quotidiennement.

Article publiés dans Trad Magazine N°9 – Mars/Avril 1990