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Des mondes de musiques

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Arat Kilo - Mamani Keita & Mike Ladd

Visions of Selam

Machine à Groove, l’éthiojazz d’Arat Kilo est la rencontre de musiciens parisiens avec la fascinante richesse des musiques éthiopiennes. Sans jamais quitter les seventies d’Addis-Abeba, le combo continu son voyage musical sans frontières.

Dans Visions of Selam nouvel opus du gang de Paname, Mamani Keita, diva malienne, croise ses fulgurances vocales avec le spoken word aiguisé de l’Américain Mike Ladd, portés par le swing ébouriffant d’Arat Kilo.

 

“Selam signifie « paix » en amharique, la langue que l’on parle communément en Ethiopie. La paix sur toi, la paix sur vous, la paix pour ce monde qui la connaît si peu et en a tant besoin. C’est une aspiration pour toute chose, mais aussi, comme en Afrique du Nord où son équivalant se dit salam, une salutation à l’interlocuteur, une invitation à la fraternité.

Avec ce troisième album, Arat Kilo nous adresse son salut en même temps qu’un souhait de paix universelle. Ce n’est pas le signe d’un recommencement, d’un retour à zéro après deux aventures discographiques déjà enivrantes.

C’est au contraire celui d’un épanouissement en forme d’ouverture.

Une ouverture qui ne s’accompagne d’aucun renoncement ni compromis.

Le groupe, qui rassemble six musiciens français passionnés d’éthiojazz, a pris garde de ne pas s’éloigner de son domaine de prédilection, ces funks moites et jazz à cinq pattes curieusement entortillés dans les sorcelleries du Swingin’ Addis, brève parenthèse aujourd’hui regardée comme un âge d’or où quelques producteurs et musiciens éthiopiens surent profiter d’une faille dans le système de censure établi par Haïlé Sélassié pour unir des tournures traditionnelles – les seules autorisées par le régime du Negusse Negest – au jazz, à la soul et à la pop occidentaux.

Dans cet album, Arat Kilo ne quitte jamais dura- blement l’Addis-Abeba du début des années 70 où les chanteurs de charme et les orchestres électriques élaboraient, dans une quasi clan- destinité, d’entêtantes mélodies et des mélo- pées gorgées de mystère. Les quatre gammes caractéristiques de l’éthiojazz s’y retrouvent, qui fondent les ciselures ornementales et le ciment harmonique de chaque titre, à égalité avec les associations de timbres et de rythmes héritées de cette esthétique composite.

Seulement, le groupe a réussi à faire aboutir l’évolution qui se dessinait dans son précédent album, d’une part en accentuant le caractère dansant de ses compositions – c’était suivre une vocation quasi naturelle, tant la batterie prodigieuse de Florent Berteau, la basse de Samuel Hirsh, les percussions de Gérald Bonnegrace, la guitare de Fabien Girard, la trompette et les claviers d’Aristide Gonçalves et les saxophones et flûtes de Michael Havard semblaient prédisposés à s’emboîter pour former une fabuleuse machine à groover sur tous les tons, sur tous les mètres –, d’autre part en incorporant avec une stupéfiante aisance deux chanteurs habitués à arpenter des horizons bien différents, Mamani Keita et Mike Ladd.

Et voilà le grand étonnement de Visions of Selam, la vérification de la puissance atteinte par Arat Kilo. Alors même que le groupe prend soin de ne pas détisser le métissage complexe à la source de l’éthiojazz, il ne paraît plus sonner

que comme lui-même et s’ancrer pleinement aussi bien dans une Afrique élargie jusqu’au fantasme que dans l’espace occidental le plus urbain, le plus contemporain. Une mélodie héritée des griots qui rencontre le hip-hop des rues de Boston, la flûte des énigmes abyssiniennes qui s’amourache d’un slam rageur, plus loin, une rythmique de la Motown accueillie par une chanson de Bamako, et encore un dub qui troue l’espace pour y faire entrer les ondes vibratoires de galaxies toujours plus lointaines. Tout cela sans effort apparent, comme si Arat Kilo pouvait maintenant choisir en toute conscience d’explorer et de prolonger à son gré l’ensemble des directions rendues possibles par la grande greffe initiale opérée par les pères fondateurs de l’éthiojazz.

Une telle magie sonore ne s’obtient pas sans contraintes, sans discipline. L’album a été enregistré à l’ancienne, en trois jours, sur bande magnétique, dans des conditions live.

Le groupe n’a disposé que de 24 pistes et de vieilles reverbs analogiques, il s’est refusé aux petites – et grosses – tricheries habituelles, a procédé à quelques superpositions, quelques arrangements, mais à aucun escamotage, aucun aban- don résolu de l’âme à la machine. C’est aussi de telles déterminations que naissent les grands disques.

Jouer en live suppose de trouver une harmonie commune, de s’entendre pour saisir une parcelle de l’instant, quelque chose du chant fascinant de Mamani, des rimes gutturales du rappeur bostonnais. Tous deux ne demandaient que ça, aussi le mariage est-il d’amour, et l’amour, cet amour-là en tout cas, ne trompe jamais. Mike et Mamani ne sont pas traités en invités, leurs jaillissements s’incorporent à la matière même, on a composé pour eux, avec eux.

Visions of Selam tient ainsi du pacte, du geste unificateur : mains liées les unes aux autres par- delà les distances qui écartent les continents, paumes ouvertes pour offrir et recueillir, Arat Kilo l’a élaboré en songeant au fossile d’aus- tralopithèque qui fut découvert en 2000 dans l’Afar et auquel, justement, on donna le nom de Selam. Il a réfléchi à ce que cet individu né il y a 3 millions d’années penserait en découvrant le monde aujourd’hui.

Une perspective vertigineuse, évidemment, mais qui pourrait aussi être heureuse pourvu que son guide soit la musique, celle de l’Ethiopie, celle de l’Afrique, celle du monde. Celle d’Arat Kilo.”

Louis Julien Nicolaou

En concert au Café de la danse à paris le 4 avril 2018 CLIC