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Des mondes de musiques

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De Woody Guthrie à Trump…

le folk américain n’est pas mort !

Etienne Bours

En 2020, le chanteur canadien Dan Mangan chantait « il y a une tumeur à la Maison Blanche ».

Aujourd’hui la tumeur est partie mais des métastases se sont répandues dans la société américaine et le nouveau président est certes plus sain mais ne sera pas celui qui sauvera la planète et donc peut-être l’humanité (et je n’ai pas envie de l’écrire dans l’autre sens).

Les chanteurs américains de tous styles ne se sont guère privés de critiques envers le président pathétique qui vient de quitter son poste à grand renfort de scènes dignes d’un enfant auquel on arrache son doudou. Rock, rap bien évidemment, métal, chanson et folksong … tout a été bon pour chanter le drame de cette Amérique qui s’était « trumpée ».

Parmi les chansons que l’on peut franchement rattacher au mouvement né dans les années 50 et 60 à New York, quelques-unes méritent qu’on s’y arrête et même qu’on y revienne comme on peut revenir sur certains titres de Phil Ochs, Tom Paxton, Richard Farina… ou, évidemment, les incontournables Guthrie et Seeger.

La plus étonnante de ces chansons nous ramène d’ailleurs directement à Woody Guthrie. Celui-ci loua, en 1950, un logement à Brooklyn et signa le bail avec le propriétaire qui répondait au nom de Fred Trump, alors papa d’un tout petit Donald.

Tout l’immeuble (baptisé Beach Haven) lui appartenait, il l’avait construit avec des aides fédérales et fut d’ailleurs soumis par après à diverses enquêtes parce qu’il aurait empoché un maximum grâce à quelques pratiques frauduleuses – étonnant non ? Plus étonnant encore : il ne louait qu’à des blancs ! Guthrie aurait dépeint l’immeuble comme une « ville Jim Crow » (Jim Crow étant le nom donné aux lois ségrégationnistes). Il restera deux ans dans cet appartement le quittant au moment où sa santé commença à se dégrader fortement. Mais Woody a toujours écrit énormément et le père Trump fut immortalisé dans ses notes, voire ses esquisses de chanson. Un professeur d’université du nom de Will Kaufman travaille manifestement depuis longtemps sur l’œuvre de Woody Guthrie et a découvert ses écrits en lien avec cette histoire de location d’immeuble.

Woody y parle du Old man Trump et de son racisme, de cette haine qu’il impose à ses 1800 familles de locataires ! Alors le chanteur Ryan Harvey a rencontré la fille de Woody, Nora, pour extraire ces quelques phrases des archives et écrire la chanson Old man Trump ; c’était en 2016 déjà. 

I suppose that Old man Trump knows just how much racial hate

He stirred up in that bloodpot of human hearts

When he drawed that color line

Here at his Beach Haven family project

 

Beach Haven ain’t my home

No, I just can’t pay this rent

My money’s down the drain

And my soul is badly bent

Beach haven is Trump’s tower

Where no black folks come to roam

No, no, Old man trump

Old Beach Haven ain’t my home

Je suppose que le vieil homme Trump sait bien quelle quantité de haine raciale

Il a ranimée dans le flux sanguin des cœurs humains

Quand il a tiré cette ligne de couleur

Ici à Beach Haven son projet familial

 

Beach Haven n’est pas chez moi

Non, je ne peux même pas payer le loyer

Mon fric s’est volatilisé

Et mon esprit est méchamment esquinté

Beach Haven est la tour de Trump

Où aucun black ne vient se pointer

Non, non, vieil homme Trump

La vieille Beach Haven n’est pas ma maison

Ryan Harvey enregistra la chanson avec Tom Morello et Ani Di Franco, deux artistes très présents sur ce genre de répertoire. Et, comme le dit Harvey, « c’est une chanson d’actualité qui a été écrite il y a bien longtemps ». Le racisme fait partie des bagages du père et du fils Trump et aucun n’aurait pu rendre l’Amérique « great again ».

 

Quelques autres artistes nous ont laissé de beaux souvenirs de ces quatre ans de présidence. Je citais le Canadien Dan Mangan en début d’article. Le chanteur ne se considère pas comme un artiste qui attaque les causes politiques ou sociales de front, il les touche à distance. Mais là, dit-il, « il fallait que j’appelle un chat un chat ». Il écrit donc There is a tumor in the White House. Une chanson en forme de constat, assez triste en somme, qui répète qu’il n’est peut-être pas trop tard, que si on se sent mal il faut appeler son ami, son oncle ou sa vieille tante et qu’après tout ils ont peut-être les mêmes sentiments que nous…

Cause there's a tumor in the White House
There's a fascist at the bank
Flag wavers in the court house
Why do assholes get their way?

So if you've eaten the mythology and
Now you've got a belly ache
Go on and call your old friend Dorothy
Maybe she feels the same

 

Il y a une tumeur à la Maison Blanche

Il y a un fasciste à la Banque

Des agitateurs de drapeau au Palais de Justice

Pourquoi les salopards arrivent-ils à leurs fins ?

Alors si tu as bouffé cette mythologie

Et que maintenant tu as des douleurs au ventre

Vas-y, appelle ta vieille amie Dorothy

Peut-être qu’elle ressent la même chose

 

 

Autre chanson qui vaut son pesant de dollars : Don’t (just) vote de Cass McCombs. Ca fait un bail déjà que ce chanteur californien roule sa bosse, participe à plusieurs groupes et partage la scène avec beaucoup d’autres encore comme Band of Horses, The Decemberists, Iron & Wine, Arcade Fire, The Shin, Cat Power…

On peut le considérer comme étant un chanteur folk et rock selon les moments – les étiquettes importent peu, seul l’esprit compte et il est sans aucun doute dans la lignée du mouvement folk américain. En 2009, il avait écrit Don’t vote, une chanson qui parle d’un adolescent sans opinion politique et qui revendique le droit de ne pas voter, estimant que c’est un choix également.

Il est revenu sur cette chanson mal comprise et l’a transformée en 2020 sous le titre Don’t (just) vote qu’il interprète avec Angel Olsen (chanteuse du Missouri) mais aussi avec Bob Weir (Grateful Dead) et Noam Chomsky dont on entend la voix à la fin du titre – trois générations pour une réflexion en profondeur. Cette fois, ils encouragent les jeunes à voter et à faire plus si possible. Comme le dit Chomsky en finale de la chanson : « nous devons réussir à extraire une tumeur maligne du corps politique ».

A noter que McCombs reverse les droits de cette chanson à une organisation qui aide à financer des programmes d’éducation musicale. C’est assez extraordinaire cette rencontre entre chanteurs d’aujourd’hui, dont la jeune Olsen, chanteur d’hier et pilier du rock de la contre-culture américaine en la personne de Weir et ce grand penseur anti libéralisme qu’est Chomsky. Celui-ci explique dans son dernier livre (La lutte ou la chute, entretien avec Emran Feroz, Lux 2020) à quel point Trump est une catastrophe dans un monde déjà en péril et, à propos des élections, il dit : « les quelques mains qui concentrent le capital, les grands groupes et les ultra-riches, interviennent constamment dans nos élections, et de manière écrasante, sapant les principes démocratiques ».

Don’t just vote for a candidate 

A persona because you relate to it 
Don’t just vote along party lines 
There’s more than two colors in your mind 

Vote for rivers and salmon in the streams 
Vote for oceans flowing from inside your dreams 
Dreams of equality; life is divine 
Musical dreams of a sweeter time 

 

Ne te contente pas de voter pour un candidat

Quelqu’un avec qui tu te sentirais des affinités

Ne te contente pas de voter selon les lignes des partis

Il y a plus de deux couleurs dans ton esprit

 

Vote pour les rivières et les saumons des torrents

Vote pour les océans qui jaillissent de tes rêves

Rêves d’égalité ; la vie est divine

Rêves musicaux d’une époque plus agréable

Et, à la fin de la chanson, il conseille de voter pour George Floyd, pour Breonna Taylor, pour Oscar Grant, question de mettre fin au racisme (les trois étant des victimes afro-américaines des violences policières).

Un vieux de la vieille de la chanson américaine, Greg Brown et sa voix d’outre-tombe, apporte aussi sa pierre à l’édifice anti Trump avec sa chanson Trump can’t have that :

 

I look at the people living on my own block.

I listen to the prayers from Standing Rock

Some want to conquer, some want to divide.

But love is stronger and it's deeper inside.

Trump can't have that. Trump can't have that.

Trump can't have that. And I ain't gonna give it up.

 

Je contemple les gens qui vivent dans mon quartier

J’écoute les prières qui émanent de Standing Rock (réserve des Sioux Lakota)

Certains veulent conquérir, certains veulent diviser

Mais l’amour est plus fort et plus profondément ancré

Trump ne peut pas posséder ça

Et je ne céderai point

 

 

 

Voix essentielle d’un folk rock très actuel, Jeremy Ivey est souvent comparé à Neil Young, Tom Petty, Beck, Dylan… on peut aussi penser à John Hiatt, John Stewart… et ces comparaisons, assez inutiles, nous montrent simplement à quel point certains chanteurs travaillent dans une lignée qui ne s’estompe pas au fil des ans.

Le dernier album d’Ivey porte le titre Waiting out the storm. Toutes les chansons y sont pertinentes. Il faut savoir que le chanteur habite Nashville et qu’ils ont essuyé de graves tempêtes en mars 2020 et que par la suite il a lui-même contracté le covid qui l’a ravagé pendant deux mois. On aurait envie de citer plusieurs chansons tant elles sont représentatives d’une époque : Hands down in your pockets, Someone else’s problem, White shadow…

Contentons-nous de citer deux extraits. Tout d’abord la fin de Hands down in your pockets :


The rules come from the top my friend
They run the world you're living in
The hypnotist, illusionist
Got hands down in your pockets
Jeff Bezos and Pope Francis
Got hands down in your pockets
Mickey Mouse the capitalist
Got hands down in your pockets

 

Les règles sont dictées du dessus mon ami

Ils gèrent le monde dans lequel tu vis

Les hypnotiseurs, les illusionnistes

Ont leurs mains dans tes poches

Jeff Bezos et le pape François

Ont les mains dans tes poches

Mickey Mouse le capitaliste

A ses mains dans tes poches

Ensuite la chanson White shadow dont on peut imaginer aisément qu’elle s’adresse à Trump ou, plus généralement, à toute personne de type suprémaciste (white shadow) agissant dans le même esprit que le président.

Get outta here, leave us be
You’ve stayed too long it’s time to leave
Your day is done, you’re world is over
Your best attempts were mediocre

Your castle walls have turned to dust
Your fake medallion’s showing rust
Here come the lawyers, here comes the hearse
It looks like murder, it may be worse

Barre-toi d’ici, laisse-nous vivre

Tu es resté trop longtemps, il est temps de partir

Ton temps est fait, ton monde est fini

Tes meilleurs tentatives furent médiocres

 

Les murs de tes châteaux tombent en poussière

Tes fausses médailles laissent voir la rouille

Voici les hommes de loi, voici le corbillard

Ca ressemble à un meurtre, ça peut être pire

 

Et puis, comment éviter Neil Young, toujours présent, toujours actif, toujours engagé ? Lui aussi a revu une de ses anciennes chansons et l’a adaptée à la situation. Son Looking for a leader est devenu Looking for a leader 2020, tout simplement. Et la fin de la chanson nous dit ceci:

We don't need a leader
Building walls around our house
Who don't know black lives matter
And it's time to vote him out
We're lookin' for a leader
With The Great Spirit on his side

Nous n’avons pas besoin d’un leader

Qui construit des murs autour de chez nous

Qui ne sait pas que la vie des noirs compte

Et il est temps de le chasser par le vote

Nous voulons un leader

Qui aurait le Grand Esprit à ses côtés

 

Enfin, pour terminer ce bref tour d’horizons de ceux qui ont chanté contre Trump, il ne faudrait pas oublier l’archétype même du protest singer en la personne de David Rovics. Voilà des années qu’aucune cause n’échappe à sa chanson. Trump et son mandat y sont passés de diverses manières bien évidemment. On peut, par exemple, retenir God’s gift to the Caliphate, chanson écrite dès 2016. Rovics dit qu’il a écrit cette chanson pour Donald Trump, le principal recruteur de Daesh !

 

He was born a rich man, then he got richer still 
By bribing politicians on Capitol Hill 
By declaring bankruptcy, by working with the mob 
By causing lots of Americans to lose their union jobs 
By exporting industries to sweatshops overseas 
By acting like an idiot on national TV 
But now add to his accomplishments one more impressive trait 
He's God's gift to the Caliphate 

… For jihadi recruiters his campaign is heaven-sent 
It's a war between religions, a civilizational fight 
That's what Daesh says – and Donald Trump says “that's right 
All you Muslims stay out of here – just go join Islamic State” 

 

Il est né riche et l’est devenu plus encore

En graissant la patte aux politiciens sur la colline du Capitol

En déclarant des faillites, en travaillant avec la canaille

En poussant plein d’Américains à perdre leur boulot syndiqué

En délocalisant des entreprises vers des ateliers de misère outre-mer

En agissant comme un idiot sur la télévision nationale

Mais ensuite ajoutez à son œuvre un fait plus marquant

Il est un don de Dieu au Califat

 

… pour les recruteurs du Djihad sa campagne est un cadeau du ciel

C’est une guerre de religions, un combat de civilisations

Voilà ce qu’en dit Daesh – et Donald Trump insiste « c’est vrai

Vous les Musulmans restez en dehors d’ici – rejoignez votre Etat islamique »

Trump est enfin parti mais gageons que tous ces chanteurs, et bien d’autres qui les suivront, devront encore armer leurs textes et leurs guitares pour continuer ce combat entamé par des Woody Guthrie, Jim Garland, Joe Hill, Sarah Ogan Gunning, Aunt Molly Jackson, Pete Seeger, Phil Ochs, Tom Paxton… et tant d’autres.