Djamchid Chemirani
Etienne Bours
“ Tu barres sans cesse des noms dans ton carnet d’adresses… » chantait Julos Beaucarne en 1993. Le chanteur pensait à ceux qui mouraient du sida mais sa chanson est valable, malheureusement, pour nous tous en cette année 2025 particulièrement noire pour nos amis musiciens et chanteurs.
Cette fois c’est Djamchid Chemirani qui s’en va sur la pointe des pieds laissant derrière lui des empreintes à la fois délicates et profondes. Ce maître du zarb iranien (cette percussion magnifique) est né en 1942 à Téhéran et a appris dès huit ans avec Hosein Teherâni, considéré comme le plus grand maître de l’instrument à l’époque. En 1961, Djamchid quitte l’Iran pour la France, instrument en main. Il se fera discrètement une place, surprenant tout le monde par la qualité de son jeu sur un instrument que personne ne connaissait encore dans l’Hexagone. Philippe Krümm me rappelait son entrée timide au folk club de Ris Orangis où on lui offrit de suite la possibilité de jouer. Très vite il enseigne au Centre d’étude de la musique orientale (CEMO) et rencontre évidemment d’autres musiciens à la pointe de ce qui est en passe de devenir une sorte de plaque tournante des musiques du monde à Paris, grâce notamment à des personnes de la trempe de Tran Van Khé.

Il va bien sûr accompagner les plus grands chanteurs et musiciens de la tradition iranienne en France et à travers le monde. Son talent et son caractère éminemment sympathique attirent vers lui des musiciens d’horizons divers : musique ancienne, world music, jazz, théâtre et danse, musique contemporaine… lui ouvrent leurs portes. Lors d’un colloque à Genève, organisé par notre ami Laurent Aubert, Djamchid nous a fait comprendre avec beaucoup d’humour, mais sans regrets ni animosité, que certaines de ces expériences n’étaient guère sa tasse de thé. On le comprend bien en suivant l’ensemble de sa carrière. Il m’arrive souvent de penser que son univers était et est toujours resté celui de sa culture, de sa tradition, univers qu’il n’a eu de cesse de transmettre à de très nombreux élèves venant de pays, de cultures et de musiques différents. Et au sein de cette vie consacrée à la transmission, son chef d’œuvre est celui de sa propre famille. Ses deux fils Keyvan et Bijan sont, à leur tour et grâce à lui, devenus maîtres des percussions iraniennes auxquelles ils ont ajouté d’autres instruments venus d’horizons différents mais quasi évidents. Sa fille Maryam a développé un talent de chanteuse qui arrive également à s’épanouir entre le berceau iranien et les traditions d’autres régions parmi lesquelles une Europe aux relents celtes. Voilà des années que les programmateurs dignes de ce nom se sont réjouis à l’idée d’inviter le trio Chemirani avec Djamchid et ses deux fils, voire en quartet avec Maryam, puis toutes les déclinaisons familiales possibles entre les uns et les autres et divers invités prestigieux venant d’Iran autant que de Bretagne. On vit aussi le père jouer avec des artistes de la trempe de Ross Daly puis l’un ou l’autre fils prendre le relais si nécessaire. Et ce fut toujours un incroyable plaisir. Plaisir du talent, du partage, de l’extrême musicalité de cet instrument et de la maîtrise du père puis des fils. Et ce fut surtout peut-être une manière exceptionnelle de montrer en un concert ce que tradition et transmission ont en commun dans beaucoup de musiques traditionnelles. Les Chemirani resteront à jamais un exemple remarquable de cette transmission d’un savoir ancestral et c’est à Djamchid que nous le devons tous. Djamchid dont je n’oublierai jamais la gentillesse ni l’humour. Un jour, à Bruxelles, nous avons devisé gaiement autour du mot zarb. Djamchid soulignait l’importance de l’instrument puisque la Marseillaise elle-même entonnait « Aux zarb citoyens ». A quoi je lui répondis qu’il ne faut pas oublier qu’un des plus grands musiciens de tous les temps s’appelait Wolfgang Amadeus Mozarb… et ainsi de suite. L’homme était simple, humble, accueillant et capable d’un humour facétieux si nécessaire. J’aimais le voir se rouler tranquillement ses petites cigarettes après le concert ; je le rejoignais alors et nous parlions sans manières. Comment remercier un tel musicien pour tout ce qu’il nous a donné sinon en espérant que beaucoup iront encore l’écouter sur disque ou sur le net puis s’en iront aux concerts de ses fils et de sa fille, magnifique chanteuse qu’il ne faudrait pas oublier non plus. Merci Monsieur Chemirani, vous avez été une des plus belles rencontres de ma vie…



