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Des mondes de musiques

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ETHNOTEST X

Du latin de garenne au latin de clapier

Epistémologix

Le latin est une langue morte. Mais on a le droit de s'y intéresser. De l'aimer. Et même d'essayer de la réactiver, pour la parler à nouveau.

Seulement là, il y un choix à faire : soit on s'en tient au latin tel qu'il fut et nous est connu, celui de Cicéron, mettons. Auquel cas on n'a aucun moyen de dire TGV, pommes de terre frites, collant, chewing gum ou Smartphone., ce qui revient à consacrer le latin comme langue morte. Ce qu'il est effectivement. Soit au contraire – c'est le choix du Vatican -, on fabrique des mots latins pour aujourd'hui. Le TGV, par exemple, ce sera quelque chose comme conjunctio ferraria vehiculorum magnae celeritatis, qui a l'inconvénient de nuire à la concision des échanges d'une part et d'autre part d'être au latin ce qu'est un centaure à la zoologie. On aura alors trouvé le plus sûr moyen d'instaurer un dialogue de sourds avec Cicéron.

Ce dilemme alimente au XVIème siècle ce qu'on a appelé la "querelle cicéronienne".

Existe-t-il une alternative ? Non, puisque c'est un dilemme. Latiniser de l'anglais, dire qu'on va se taper un biftecum au Macdonaldo, c'est être assuré de dîner sans Cicéron. Et puis sans vouloir remettre en cause les relations franco-britanniques, un "latin de cuisine" ne peut guère recourir à l'anglais, vu les talents culinaires de nos voisins d'outre Manche. Conclusion : qu'on le veuille ou pas, il nous faut renoncer à dialoguer avec Cicéron. Soit on se met à son écoute, pour découvrir sa pensée, la culture qu'elle illustre et la civilisation qui les a permises – auquel cas c'est lui qui parle et on la ferme -; soit on veut exprimer ce qu'on estime avoir à dire – auquel cas on n'a pas besoin de lui. Exit Cicero.

Le temps n'est plus où l'on pouvait (Cicéron une fois sorti) dialoguer en latin avec des étrangers, à une époque où toute l'Europe lisait Saint Augustin dans le texte et où même un fils de menuisier come Julien Sorel pouvait s'immiscer dans la conversation ("loquerisne linguam latinam ? – Ita, pater optime"). Or on a besoin de dialoguer avec des étrangers. Il faut donc trouver un langage universel. Il y a bien l'anglais, mais cet anglais-là est surtout américain. C'est-à-dire qu'il ne véhicule pas de culture. Si le français fut jadis la langue de toute l'Europe cultivée, c'est parce qu'il était la langue de la culture. L'anglais est plutôt la langue des affaires et de leurs métastases. Elle se substitue au français à travers un acquiescement général et une passivité bienveillante. Même le ski, sport dans lequel les Anglais sont pathétiques, a congédié tout terme allemand, italien, suédois ou français. A la place, on a du switch, des runs, des corks, du strolling. Or parler anglais, c'est parler pauvre. Au point que le recours obligatoire à cette langue limite la portée des échanges scientifiques à l'heure actuelle, faisant obstacle au progrès (dicunt les chercheurs). Alors d'autres pistes ?

Un ami polyglotte me disait : "quand on connaît plusieurs langues (il en parlait quinze), on devine les autres. Ainsi moi, j'avais besoin de dire "littérature" en hongrois, langue que je ne parle pas. Mais je savais qu'un allemand, c'est Literatur, en anglais litterature, en espagnol literatura, en italien letteratura, alors le mot hongrois est venu tout seul comme une évidence" Moi : "et quel est le mot hongrois ?" – "irodalom". Là, j'ai compris qu'il plaisantait, malheureusement. Fausse piste donc.

Alors bien sûr il y l'espéranto, cette langue hors sol. Une langue sans évolution philologique, donc sans histoire. Une langue sans dialectes, sans contes et légendes, sans tradition chansonnière, sans branles régionaux. Une langue en survêt et en baskets. Une langue inventée, qui n'a pas fini de l'être et qui n'est familière qu'à une minorité. A elle de s'inventer aussi ses épopées, ses chansons, ses danses, sa culture. Mais ça ne sera jamais que du hors sol. Reste à voir si ces produits hors sol auront quelque saveur. Et là, on attendra de voir avant de se prononcer.