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Des mondes de musiques

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ETHNOTESTS XIX

Le dernier village

ÉPISTÉMOLOGIX

Je m'appelle Revivalix et j'habite le petit village gaulois de Chromosum. On résiste à tous les envahisseurs, nous autres, qu'ils soient historiens ou ethnologues. En revanche on se montre accueillant aux touristes.

Ma femme Blanchermine est copine avec Journalistix, qui écrit dans Gallorama et dont le vrai nom est Talumonlaïus. Il n'est pas d'ici, mais y a pas plus patriote. A part peut-être Nessousix, le planteur d'arbres généalogiques qui nous cachent la forêt, ce qui permet de faire croire à Loquedus et Glandulardus qu'elle est toujours là, avec ses sangliers, ses korrigans, ses morganes.

L'enchanteur Berlin, lui aussi, nous est venu d'ailleurs. Il est d'en world. Il a un triskell sur son chapeau tyrolien et bouffe des crêpes à la choucroute, arrosées de cidre bavarois, de sorte qu'il est connu comme le houblon, chez nous. D'ailleurs il a épousé une fille d'ici, Gennetine.

Notre druide, c'est Transgénix. Personne ne possède la tradition comme lui et personne ne sait mieux s'en écarter pour la faire vivre. Toujours oralement. Son truc, c'est la potion magique. Je ne sais pas ce qu'il met dedans, y a du chouchenn, y a du ketchup, du coca, des farines animales. Le reste, c'est top secret. Mais je peux vous dire que c'est hyperroboratif. A la première lampée, toc, vous parlez espéranto. A la deuxième, tac, mutation soudaine de votre angle facial. Tout le monde en veut, tout le monde en boit : Soporifix, le passeur de rêves, Amnésix, le passeur de mémoire. Et tous leurs cousins plus germains que nature. Sans parler des Japonais, que ça change du saké. Vous prenez le gars Nakata, au bout de deux gorgeons il s'appelle Bolderix. Je vous raconte pas l'ivresse collective.

J'y participe joyeusement, je titube avec les autres : garder un œil lucide sur les débordements de mes semblables, ça serait mal vu. On me trouverait moins semblable. Cela dit, mon cas à moi est un peu particulier : la potion magique, je suis tombé dedans quand j'étais petit. Alors je n'en ai pas besoin, voyez ? Elle coule dans mes veines. Elle m'enracine. C'est même ça qui me permet de décoller. Mes racines sont mes ailes. Je me monte sur les épaules pour voir plus loin. Du coup j'aperçois ma maison. Ça me permet de rentrer plus facilement chez moi. C'est là que je me rencontre, en général. Tous mes potes viennent m'y voir : Journalistix, l'enchanteur Berlin, le gars Nakata, Nessousix, Amnésix. Et des fois Bécassine. Chez moi, c'est un peu chez eux.

Quand on est tombé dans la potion, l'important c'est d'en sortir. Parce que la potion, elle vous donne du peps (certains l'appellent Pepsi), mais si vous n'en sortez pas, il va vous pousser des nageoires, puis des branchies. En attendant les cils vibratiles. Vous régressez, quoi. Vous n'avez plus que le passé pour avenir. Tandis que si vous sortez, vous allez pouvoir mener des études longues et exigeantes sur vous même. Et puis vous pourrez voyager, rencontrer des gens, découvrir d'autres cultures. Sans forcément bouger de chez vous, notez. Pas obligé. On n'est plus à l'époque de l'ergaster viator : vous vous bouquez un voyage rêvé chez Soporifix, Touristix vous concocte des itinéraires imaginaires. Vous métissez Colchix dans les prés à la dernière compo d'Ashantix et Compacteudix vous en fait un CD-Rom. Car tous les chemins mènent à ce Rom là. Surtout les imaginaires.

Du coup vous êtes à la fois Authentix et Cherchologix. Ça dépend du moment, ça dépend du besoin. Ça vous permet de vous étudier vous-même. C'est gratifiant. Néphrétix vous invite à ses célèbres colloques, vous prenez votre pied avec Orthopédix, vous chantez chez Cola-Cocatrix. Ça ne gêne personne. Et surtout pas le tribun Consensus, le consul Garoquitus ou le diligent Dithyrambix (Prospectus à l'état civil). De sorte qu'on mène

une vie sans histoire, chez nous. Et donc sans historiens. Ni chercheurs d'aucune sorte, en fait, vu qu'on trouve tout ce dont on a besoin pour être heureux, à Chromosum, petit village celte irréductible, enserré dans son paysage de vallons, à proximité de Marne-la-Vallée.