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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Plaidoyer pour le colloque

Épistémologix

La différence entre un bourgeois de gauche et un bourgeois de droite, c’est que le premier est de gauche. C’est à dire que chaque fois qu’il tourne à droite, il met son clignotant à gauche.

 

Sous la droite, c’était super de faire du folk : le pouvoir se montrait méfiant et subventionnait peu. Du coup, on pouvait être marginal. Or la marginalité fascine. Derrière les cheveux longs des garçons et le patchouli des filles, derrière guimbardes et cuillers, le bourgeois subodorait de folles transgressions qui hantaient la nuit les sous-bois de son inconscient collectif. On était des loups.

Sous la gauche, on est devenu des chiens. Alors, on aboie, on fait son pitbull, mais sur votre collier, il y a toujours le nom du sponsor et c’est en laisse qu’on va au réverbère. Ceux qui peuvent remuent la queue. Les autres canigoûtent intermittemment. Cessez de rire, charmante Elvire, Médor est rentré au logis.

Mais la gauche a quand même un grand mérite : elle a inventé le colloque sur les musiques traditionnelles. Le colloque rassemble des collocuteurs, qu’on voit dans tous les colloques. Ce ne sont d’habitude ni des chercheurs, ni des musiciens, ni des danseurs, car ceux-là cherchent, jouent et dansent pendant ce temps là. Non, le collocuteur, c’est quelqu’un qui n’a pas besoin de chercher pour être chercheur et qui est danseur sans danser.

Le collocuteur n’a pas forcément grand chose à dire, mais il est colloquace. Il est content qu’on l’écoute. En général, il s’écoute lui-même, vu que les autres collocuteurs pendant ce temps là réfléchissent au moyen de lui couper la parole. Sans brutalité, ce serait mal venu. Et mal perçu. On vous le revaudrait. Oignez, et l’on vous oindra. Tu me brosses, je te les cire, on s’aime.

Exceptionnellement, il arrive qu’il y ait un public au colloque. Peu nombreux,certes. Mais enfin, être là peut permettre de se faire remarquer par quelque intervention pertinente ou courageuse, et qui sait, d’être un jour demandé comme collocuteur. Cela permet aussi parfois de huer un intervenant qu’on n'aime pas, ou qui a dit un truc de gauche qu’on croit être de droite.

Tout colloque débouche sur des Actes du colloque. Ces Actes ne sont jamais publiés. Car alors, le risque serait que quelqu’un les lise. Des chercheurs, par exemple. Tout colloque a un programme précis, qui est toujours le même : on commence par un état des lieux. On s’interroge ensuite sur la diffusion et la promotion du spectacle vivant. On termine par les perspectives d’avenir, dont la plus importante est la fixation d’une date pour le prochain colloque.

En clôture, il y a souvent un concert, organisé au bénéfice des organisateurs du concert. Ce concert est confié à un groupe qui vend beaucoup de disques mais pas assez, et qui est composé de copains des collocuteurs importants.

Mais là où on voit que le colloque est bien de gauche, c’est qu’à l’issue des commissions, où on a parlé de danse et de musique, il y a toujours un suricate indigné vertueux (qui peut aussi bien être une indignée vertueuse) pour s’exclamer : « C’est moche, on a parlé de danse, mais on a pas dansé ! ». Variante : « - on a parlé de chanson et on a pas chanté ! ». Sous-entendu : on est des intellos formolés ! Des peine-à-jouir ! Des coincés ! Des frustrés ! Et la fête, merde ! La joyeuse transgression des tabous ! Le retour au chaos originel ! Le plaisir, quoi, le corps !

Eh bien oui, gentil suricate, c’était un colloque ! Les colloques, c’est fait pour causer. D’accord, chanter et danser, c’est plus important. Mais pour ça, on a toute la semaine, tous les jours, toute la vie. Parce que tu fais quoi, toi, quand il n’y a pas de colloque ? T’attends le prochain ? N’attends plus : danse tout de suite. Vis en chantant.

Et c’est là que l’invention du colloque est doublement géniale : primo, elle nous donne un alibi à la pratique ; deuxio, elle nous permet d’avoir l’air de le regretter.