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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Une enquête ethnographique en Ardèche.

Épistemologix

Lorsque j’ai commencé mon enquête sur la musique et la danse en Ardèche, je me suis adressé, comme toujours en pareil cas, au secrétaire de mairie, en lui demandant de m’indiquer les personnes âgées susceptibles de m’informer sur la tradition locale. Cela se passait dans le village de V***.

Très aimablement on me remit une liste de noms : Ewert Van De Welde, 75 ans, Jaap Van Breukelen, 80 ans, Anne -Mieke Broekema, 82 ans, et Henk De Groot, 78 ans.

Ces gens m’ont réservé l’accueil chaleureux que l’on trouve en ces régions de soleil et de joie de vivre. J’ai été séduit par leurs visages burinés, leur franche poignée de main, leur accent âpre et rocailleux. Il est incontestable que l’Ardéchois est un homme à part : grand, blond, les yeux bleus. Son habitation est typiquement méridionale, avec un je ne sais quoi de plus fonctionnel, de plus hygiénique que dans les régions voisines. L’Ardéchois est d’une propreté méticuleuse.

La plupart des chansons que j’ai pu recueillir sont en patois : des canons (« stoelen te matten »), des cantiques protestants ( « ons is een kind geboren »), des jeux enfantins ("Joepi-Joepi is gekomen"), des chansons humoristiques (« aan de oever van de Rotte », « o was ik maar bij moeder thuis geblijven »), et des œuvres que je soupçonne plus récemment introduites dans la tradition locale (« ik heb een hutje in een bos »). Peu de choses en français (« gentille alouette », « la Marseillaise »). Cette rareté même montre à quel point il s’agit d’une région exceptionnellement préservée, farouchement repliée sur son originalité et jalousement conservatrice d’un patrimoine archaïque.

Cet archaïsme affecte aussi la danse : beaucoup de valses et de foxtrot. Ces danses ont toutes les chances d’être très anciennes en Ardèche. Nos informateurs les ont toujours connues, leurs parents et grands parents avant eux. Au point qu’on peut penser – contrairement à certaines théories en vogue – qu’elles ont nées en Ardèche à date très ancienne et qu’elles ont ensuit rayonné, atteignant les salons parisiens aux XIXè et XXè siècles. Leur origine populaire est évidente : rien ici qui évoque le ballet classique ou moderne.

On peut alors se demander pourquoi nul document ancien ne les mentionne. Plusieurs raisons à cela sans doute :

-1) Les Ardéchois se transmettent leurs répertoires oralement, comme c’est le cas dans toute société traditionnelle, ce qui explique l’absence d’archives.

2) L’ancienneté même de ces répertoires suggère qu’ils constituaient à l’origine des rituels païens, peut être introduits vers la fin du Paléolithique supérieur – il est difficile, faute de données certaines, d’être plus précis – et que l’église a évidemment censurés par la suite, ainsi que l’attestent les nombreuse mises en garde des divers conciles.

3) Ce n’est pas parce qu’on n’a aucune trace d’une danse qu’elle n’a pas existé et le danger qui guette ici le chercheur, c’est de confondre la géographie des faits avec la géographie de la connaissance qu’on en a.

Une danse typiquement ardéchoise pose problème : la Maclotte.. Nous penchons à y voir l’origine de la Matelotte. Il est en effet impensable que « matelotte » représente une forme originelle du mot, vu que cette danse est répandue dans des régions où la marine est inconnue. Il paraît plus vraisemblable de conjecturer l’introduction de cette danse en Occitanie par l’intermédiaire d’un moine écossais, Mac Loth, qui l’aurait répandue – via les Causses, de toute évidence – afin de propager le message chrétien dans ces rudes contrées longtemps acquises au paganisme. C’est à nos yeux la seule explication possible. Car alors tout devient clair : s’il n’est nulle part question de maclotte dans les interdits de l ‘église au Moyen Age, c’est que cette danse, auxiliaire de l’évangélisation, n’avait aucune raison d’être dénoncée comme inconvenante. C’est pourquoi nous pensons que la Maclotte s’est diffusée à partir de l’Ardèche, où elle a pris naissance et d’où elle a ensuite essaimé, allant jusqu’à atteindre la Belgique et la Hollande, sans doute au moment de la révocation de l’Edit de Nantes .

Tout cela révèle en tous cas combien l’enquête ethnographique est indispensable pour nous amener à formuler des hypothèses infiniment éclairantes quant à l’histoire des sociétés traditionnelles. La mémoire de nos informateurs a fonctionné comme un conservatoire, qui nous permet aujourd’hui de remonter très loin dans l’histoire et de nous faire ainsi une idée assez exacte de ce qu’ont pu être les campagnes françaises entre la Préhistoire et le Moyen Age.

Une dernière remarque : en Ardèche comme ailleurs, le processus d’acculturation est engagé. Les petits enfants de nos informateurs parlent couramment le français, sans ce savoureux accent du terroir qui caractérise leurs grands parents. On peut penser que dans quelques décennies, c’en sera fait des traditions ardéchoises et que les collecteurs de l’avenir n’auront plus rien à recueillir là-bas, si ce n’est les « rigodons » et autre « vire » que des folkeux chevelus ne cessent de répandre aux alentours depuis quelque années