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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Zénon

 Epistemologix

Zénon, brillant sophiste à l'argumentation rigoureuse, avait démontré l'impossibilité pour toute flèche d'atteindre sa cible et l'incapacité d'Achille à rattraper une tortue.

D'où l'on peut conclure qu'il ne tirait pas plus à l'arc qu'il ne courait après les filles, toutes activités qui auraient réfuté son discours. Du coup il ne quittait guère son amphi, raison pour laquelle il n'a jamais connu Socrate, lequel dispensait son enseignement loin des contextes universitaires et ne rencontrait pas de problème particulier à déambuler pieds nus dans l'Ilisos. A défaut de fréquenter Socrate, homme de dialogue et de questionnement, Zénon a formé des disciples, dont le plus brillant fut Ariste, philosophe injustement méconnu, quelque soin qu'il ait pris de célébrer ses propres mérites sur son site internet.

Tout comme son maître Zénon, Ariste préférait le raisonnement à l'observation. C'est donc à son corps défendant qu'il fut soudain informé d'une découverte scientifique importante : un homme et une femme aux yeux bleus ne pouvaient avoir d'enfant qu'aux yeux bleus ; En chercheur rigoureux, il voulut vérifier la chose. La chose se vérifia. Ariste eut l'honnêteté d'en convenir. Après qu'il en eut convenu, le raisonnement reprit ses droits et Ariste se sentit à même d'apporter à son tour une contribution importante à la connaissance : des parents aux yeux marron ne pouvaient avoir d'enfants qu'aux yeux marron. Cette fois, Ariste ne jugea pas utile de vérifier la chose. D'abord parce que la découverte venait de lui et qu'il était peu enclin à se remettre en question en tant que chercheur – d'autant qu'il avait l'habitude de trouver sans chercher ; ensuite parce que sa proposition lui paraissait tellement logique qu'elle se passait de toute démonstration . Et comme elle relevait de la logique, elle parut convaincante au grand public. Devenue dogme, elle s'imposa partout, au point qu'Ariste se vit confier un enseignement à l'université.

On peut s'étonner que personne n'ait cherché à vérifier l'affirmation d'Ariste. Mais il faut comprendre que nul n'éprouvait le besoin de le faire. D'abord parce qu'elle semblait relever du simple bon sens : si les yeux bleus donnent des yeux bleus, que voulez-vous que donnent les yeux marron ? Ensuite parce qu'Ariste était prof à l'université, ce qui avait quatre implications : un, il formait, examinait et diplômait des élèves qui avaient intérêt à dire la même chose que lui pour être reçus à l'examen ; deux, sa fonction l'accréditait comme spécialiste ; trois, grâce aux colloques et à son site internet il était devenu très connu au sein d'un monde où la notoriété passe pour de la compétence ; quatre, il avait la caution de chercheurs renommés qui, ignorant tout de l'hérédité, s'étaient fait un nom dans d'autres disciplines, traitant de l'anaphore chez Démosthène ou de la construction en spirale dans la peinture de Rubens.

Or voilà que deux événements simultanés, inégalement rapportés par les médias, vinrent conforter la position de notre sophiste : l'un à cause de son retentissement ; l'autre parce qu'il passa inaperçu. Le premier, c'est la publication de Mélanges en l'honneur d'Ariste, dans lesquels on relève les signatures prestigieuses de Ptolémée, Lissenko, Davenson, Prudhommeau et quelques autres. Le second, c'est une pétition exigeant la libération d'un obscur jardinier, condamné sans procès. Parmi les signataires : Galilée, Jakobson, Coirault, Braïloïu et quelques autres, noms qui ne disaient rien à personne. Quant au condamné, c'était un moine cultivateur de petits pois, chercheur aux problématiques obsolètes, qui soutenait que les générations d'hybrides ne se combinent pas n'importe comment, que les allélomorphes se transmettent indépendamment les uns des autres et que seules l'observation et l'expérimentation permettent de rendre compte de l'hybridation. Il s'appelait Johann Mendel.