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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Le bateau de Thésée

Epistemologix

Quand il est question de Thésée, on pense d'abord au labyrinthe et au coup de main (un coup de fil, en fait) que lui donna Ariane pour exécuter son contrat sur le Minotaure, à qui l'on reprochait de ne pas être strictement végétarien.

Mais voilà que vous me parlez de son bateau. Vous me dites qu'on a voulu le conserver, en mémoire du héros légendaire que le monde continue de célébrer. Même sans l'avoir connu. Et vous m'informez qu'entre-temps le bateau s'est peu à peu dégradé.

Si le bateau se dégrade, on a le choix en principe entre deux démarches : soit on conserve le bateau comme il est, estimant qu'il serait impie de ne pas le respecter tel quel, puisque c'est tel quel qu'il témoigne des aventures de Thésée. Laissons-le donc devenir une épave et mettons-la au musée. C'est ce que les Grecs ont fait pour leurs temples et leurs statues, les Français pour leurs cathédrales : on en a laissé les couleurs s'estomper, puis disparaître. Car les repeindre, c'était recourir à des artistes modernes. C'était tricher.

Soit au contraire on estime, à l'instar souvent des Allemands, qu'il importe de restituer à l'œuvre du passé son lustre d'antan et qu'il faut donc restaurer. C'est-à-dire repeindre, colmater, remplacer les pièces défectueuses. Et que ce faisant on lui restitue son vrai visage.

Auquel cas, une question va bientôt se poser : est-ce qu'à l'issue de nos nombreuses interventions successives le bateau est encore vraiment toujours celui de Thésée ? Parce qu'il a d'abord fallu refaire le pont, changer un mât, puis un autre, y mettre des voiles neuves, remplacer les avirons. Certains voudront alors y aménager des cabines, y installer des douches, voire substituer le buste de Nolwenn Leroy à celui d'Ariane en figure de proue. Bref, qu'est-ce qui reste finalement du bateau de Thésée ? A peu près rien. Alors, me demande-t-on, à partir de quel moment le bateau rénové cesse-t-il d'être celui de Thésée pour devenir un bateau nouveau ?

A mes yeux, une telle question pose un faux problème. Que le bateau, à l’issue de transformations successives, ne soit plus le bateau de départ, je suis bien d’accord. Mais je ne vois pas en quoi ce n’est plus le bateau de Thésée, si c’est toujours lui qui navigue avec. C’est même parce qu’il en est le propriétaire légitime qu’il peut se permettre de le transformer à son gré, de le refaçonner, de l’aménager comme il l’entend, l’adaptant à ses nouveaux besoins. Quelque transformation qu’il y apporte, c’est toujours son bateau à lui. C’est même là ce qui lui donne le droit de le faire évoluer.

En revanche, le bateau cesse d’être celui de Thésée, si Thésée une fois disparu, c'est Tartempion et ses fils qui nous rebricolent la trirème en hors-bord ou en pédalo, quittant « la mer violette » pour le lac Léman ou la pièce d’eau des Suisses. Là, ça devient le bateau de Tartempion. Et Tartempion n’est pas Thésée.

Je vous fais confiance pour tirer de ces réflexions les conclusions qu'elles appellent. Même si elle remettent en cause vos questionnements de départ. Et je suis sûr que vous saurez reporter ces conclusions sur les problématiques de la tradition, dont certes vous n’avez soufflé mot, mais auxquelles vous n’avez cessé de penser, détournant notre attention vers une métaphore que vous ne m’en voudrez pas de trouver révélatrice de vos conditionnements idéologiques. Et qui à mes yeux passe à côté de l’essentiel.