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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Pour une ethnologie d’aujourd’hui

Epistemologix

Rien n’est aussi nuisible qu’un musée.

Poussiéreux par définition, le musée vous présente des outils qui n’ont plus cours : araires, rouets de fileuses, bezeg karr ; et des costumes que nul ne porte plus : coiffes régionales, jupes brodées, pantalons bouffants. On y expose des meubles sculptés, des cuillers incrustées de cire, des œufs peints. Bref, des objets morts, paysans pour l’essentiel. Tout cela sert une seule et même idéologie : faire croire au visiteur qu’il a existé une culture paysanne originale, diverse selon les pays ; et lui suggérer que cette culture est aujourd’hui disparue.

Aveuglés par les présupposés idéologiques d’une époque et d’une classe sociale, les collecteurs du passé ont cru qu’il fallait se rendre dans les campagnes et y interroger des vieux pour recueillir chants et danses traditionnels. Ils ont donc trouvé là ce qu’ils étaient venus chercher : la culture d’une paysannerie d’autrefois. Ce faisant, ils ont délibérément occulté tout un folklore jeune et citadin : ballades sur les combats de boxe, complaintes sur le viol  conjugal, danse des éboueurs devant leur dernière poubelle.

Cette démarche perverse trouve encore des défenseurs aujourd’hui, y compris chez les historiens, plus empressés à déchiffrer quelque grimoire vermoulu du 13e siècle qu’à visionner sans préjugé les films de chevalerie d’Hollywood, pourtant plus vivants et donc plus parlants.

Il est temps de rompre avec l’ethno-histoire de grand papa, pour se tourner résolument vers des viviers encore peu exploités.

Situé aux portes de la capitale, retiré à l’écart de la route, ignoré du grand tourisme, Parly II incarne la tradition en ceci que continuité et renouvellement y sont étroitement imbriqués. D’abord, Parly II est encore un village au sens plein du terme : pas de grands ensembles hideux, dont la cage d’escalier vous souffle au visage son haleine de fricot et de latrines ; pas de tag incongru sur les murs, nul dessin obscène au dessus des boites aux lettres. Une population bien de chez nous, peu de maghrébins, guère de beurs. Des gens comme vous et moi, blancs, Français de souche, des gens du cru. Aujourd’hui comme hier, les demeures individuelles sont disséminées dans la verdure, de sorte qu’on se sent immédiatement à la campagne. L’animal s’y est maintenu en se transformant : plus de vaches, certes, plus de poules ou de lapins, mais des bergers allemands, des hamsters, des poissons rouges. Et la tondeuse à gazon électrique, ultime avatar de la moissonneuse.

Il n’est guère de demeure qui n’ait encore son lustre en joug de bœuf, son miroir en collier de cheval, son moulin à café à manivelle, au tiroir rempli d’allumettes. Sur plus d’une cheminée - où brûlent encore de vraies bûches - trône l’antique lampe à pétrole. Car ici, la tradition ne s’est jamais vraiment interrompue.

Continuité, donc. Mais ce qui permet de parler de culture traditionnelle au sens le plus exigeant du terme, c’est que cette continuité n’exclut pas le renouvellement. Ce qui l’a maintenue vivante, c’est d’avoir constamment su s’adapter. Car c’est le propre de toute tradition que d’évoluer. C’est ainsi que les boulangeries, épiceries, merceries et cordonneries du village d’antan sont devenues des croissanteries, ongleries, soutien-gorgeries et sandwicheries d’aujourd’hui.

Pas besoin d’être grand clerc, alors, pour prédire qu’un tel contexte pullule nécessairement de chansons et danses traditionnelles, jalousement conservées et transmises de génération en génération, et constamment réajustées aux besoins nouveaux. En clair, il ne faut pas s’attendre à recueillir ici des chants de briolage, danses pour l’aire - neuve, chansons pour habiller la mariée ou pour écarter les loups. Car ces répertoires étaient liés à des pratiques qui ont disparu. En revanche, il serait étonnant qu’on ne trouvât point de chansons à faxer, formulettes à dupliquer, incantations pour éloigner le ver alimentaire du hamburger, sorcelleries pour conjurer la listeria ou la salmonelle.

Que de pistes, que de rêve et d’émotion en perspective !

Mais ne nous y trompons pas : il faut se dépêcher de recueillir toute cette culture avant qu’elle disparaisse. Il ne faudrait pas en effet que les chercheurs d’aujourd’hui, retombant dans les erreurs idéologiques de leurs aînés, passent à côté d’une telle richesse, attendant qu’il soit trop tard pour s’y intéresser. L’ethnologie doit s’écrire au présent, faute de quoi elle devient une archéologie désuète, dont la désinformation ne trouve plus d’autre refuge que la poussière des musées.