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Des mondes de musiques

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Ethnotest

East side story

Epistemologix

L’Ève africaine était déjà carrément nubile il y a 150.000 ans. Du coup, elle se sentait un peu seule. Ça manquait de mâles, l’Afrique, à l’époque. Parce que d’après les plus récentes estimations, Adam n’est apparu qu’il y a 60.000 ans. Ça calme.

Ça oblige une fille à continuer de jouer à la marelle à un âge où elle aimerait mieux jouer au docteur. Et même en lui faisant redoubler le CM2, elle a peu de chances de partager ses problèmes de robinets avec Adam, quelque vélocité que montre le petit dans son cursus. Et puis se retrouver à l’âge des soutifs et du mascara dans la même classe qu’un mec en baby-gros qui suce son pouce, ça dissuade de l’osmose.

Pour se sentir moins seule, le courrier du corps suggérait à Ève deux possibilités : la scissiparité ou la parthénogénèse. Mais la première scinde plus qu’elle n’unit ; et la seconde a l’inconvénient de produire plus souvent des filles que des garçons. Ce qui nous ramène au problème précédent. Je ne condamne pas, notez. Chacun sa life. Les soirées entre copines, c’est sympa. La vie d’Adèle aussi. Suffit de garder le smile. Non, le clone triste, c’est plutôt la femelle hétéro. Elle aimerait bien batifoler un peu en dehors des heures de reproduction. Joindre la fiche mâle à la prise femelle pour faire passer le courant. De sorte qu’au total, on comprend qu’elle ait fini par se casser d’Afrique, l’Ève africaine. En attendant qu’Adam ait l’âge de jouer au docteur.

Alors elle a voyagé, parcourant le monde entier et le peuplant à son image. Par scissiparité et parthénogénèse, donc. D’un côté, c’était le bon temps. Parce que dès que le mâle rapplique, il opprime la femelle et à travail égal, il est plus payé. De sorte que la Sissi-parité bénéficie surtout à François-Joseph. En contrepartie, on a enfin de l’homo erectus. On se mélange autrement et on se fabrique des lardons à chaussons bleus ou roses, dont certains ressemblent à papa, d’autres à maman, d’autres encore à aucune de leurs géniteurs présumés. Il y en a des noirs, des blancs, des jaunes, des rouges, des bleus récessifs. Et tout cela gazouille dans des idiomes différents.

Alors forcément, on s’interroge. Ça fait intello, de s’interroger, je sais, on n’est pas obligé. Mais on a le droit. Suffit de faire ça en cachette des réseaux sociaux. Ou alors sous un pseudonyme (“Passez mustrad“, par exemple). Et quand on s’interroge, la question devient : l’Ève africaine, un, quelle était sa couleur de peau ? ; et deux, quelle langue parlait-elle ? Les paléontologues sont très discrets là-dessus. Ils préfèrent jouer au mikado avec des fémurs. On est donc obligé d’y réfléchir sans eux. Parce qu’a priori, l’Ève africaine ne pouvait pas être à la fois polychrome et polyglotte. Alors, d’où viennent les races et les langues ? Et quand apparaissent-elles ?

Certains estiment qu’Ève parlait l’indo-européen. Ce qui pose deux problèmes : le premier, c’est que l’indo-européen a évolué en langues germaniques, latines, slaves, celtiques. Et que pour converser avec un Allemand ou un Serbo-croate – voire avec un espagnol ou un Italien –, un Français a besoin d’un interprète. Et qu’un Breton ne comprend pas le gaëlique. Or il a fallu des milliers d’années pour que l’indo-européen se diversifie en autant de langues maternelles. Et le second problème, c’est qu’à côté de l’indo-européen, vous avez aussi le finno-ougrien, l’ibérique, les langues sémitiques, les langues à tons ou à clics, dont aucune n’a rien à voir avec l’indo-européen. Ni entre elles. Et que même à l’intérieur de chaque famille, c’est le dialogue de sourds : pour suivre un film en hongrois, un Finlandais a besoin de sous-titres. Et en Afrique même, chaque ethnie a une langue distincte, au point qu’un Bambara et un Peul ne peuvent s’entendre que par gestes. Ou alors en anglais. C’est-à-dire en américain. Allons plus loin : dans l’hypothèse où le finno-ougrien, le peul et les langues à tons ou à clics seraient issues de l’indo-européen – ce qui paraît exclu, même si d’aucuns le soutiennent –, il a forcément fallu des milliers et des milliers d’années pour en arriver là. Croyez pas ? Si. Mais ce n’est pas en déposant votre ADN sur des diaphyses que vous ferez le point sur la question. Or elle se pose.

De sorte qu’on en vient à se demander si les paléontologues ont eu raison de renoncer (provisoirement, mais péremptoirement) à l’hypothèse d’une origine multirégionale des Manga zou, Kaenenn, Nagy, Li Chang, Ben Abdeldjellil, Mac Lagan, Tendjoun, Singh. Et Dupont. On se demande si Ève n’aurait pas eu des rivales ailleurs qu’en Afrique. Et si les chercheurs ne perdent pas leur temps à jouer aux osselets pour intégrer Lucy à notre arbre généalogique (dont elle n’est sans doute jamais descendue et auquel nous n’avons sans doute jamais grimpé).

Alors bien sûr, je ne suis pas Coppens comme cochon avec les paléontologues. Je ne suis pas spécialiste de leur discipline. Je suis sûrement dépassé par des travaux éclairants que je n’ai pas lus. Mon truc, c’est plutôt le trad. Et même là, d’aucuns me trouvent dépassé, me chapitrant de n’avoir pas compris que c’est l’évolution naturelle qui nous a menés du traditionnel au néo-trad. Parce que la tradition, c’est comme l’ADN : ça évolue. Mais il y a quand même deux choses qui me rendent méfiant face à l’indignation vertueuse des consensuels. La première, c’est que le discours officiel n’a pas cessé de changer au fil du temps : d’abord, on a quelque peu étendu la surface du village africain originel ; ensuite, on a admis que Cro-Magnon avait fauté avec Neandertal, qu’il était pourtant censé avoir exterminé (je m’en réjouis : make love, not war). Enfin, on n’a pas fait de fouilles sous Beaubourg.

Et puis la deuxième chose, c’est que le discours consensuel m’évoque beaucoup celui des folkloristes à grand papa, longtemps structuré par deux spéculations : un, l’individu inventif ; deux, le voyageur éducateur. L’individu inventif, c’est le gars qui, lassé de s’époumoner à souffler en respiration continue dans un instrument à anche double, a eu soudain l’idée d’adjoindre à son hautbois un sac en peau de chèvre. Un Celte, de toute évidence, puisque ça a donné la cornemuse, instrument qui s’est ensuite diffusé dans le monde entier grâce au voyageur éducateur. Le voyageur éducateur, c’est le gars qui transforme la culture autochtone partout où il passe ses vacances. Il se pointe dans un village où tout le monde danse des rondes chantées, montre un pas de bourrée aux indigènes et aussitôt, toc, les indigènes se mettent à danser la bourrée.

Bref, comme le dit ce folkloriste très éclairant, “la tradition, c’est pas compliqué“. Pas besoin de comprendre pour expliquer. Et plus c’est simple, plus il y a consensus.

L’intérêt de la chose, c’est que ça vous ouvre des bassins d’emploi. Le colloque, par exemple. Voire le jury de thèse : n’importe qui peut y siéger sans rien connaitre du sujet traité. Vous faites comme moi, vous examinez la démarche du candidat, plutôt que le contenu de son travail (dont tout le monde se tape). Laissez les autres jurés se livrer complaisamment au touillage de vide dont se gargarisent Diafoirus, Trissotin et autres médecins de Molière en quête de barbara baroco baralipton. Ils vont expliquer doctement au candidat qu’il n’y a de tradition que là où le chercheur a décrété son terrain “traditionnant“ ; qu’il méconnait la méthode hypothéticodéductive ; que la danse traditionnelle n’est pas autre chose que le point d’intersection entre un axe paradigmatique et un axe syntagmatique ; qu’il voit de l’écriture là où il n’y a qu’inscription ; qu’il confond le linguistique et le langagier ; que sa biblio n’est pas aux normes de Philadelphie ; bref, qu’il n’a pas l’ADN d’un vrai chercheur. Qu’il manque de fouilles, en quelque sorte.

La sagesse, c’est de consulter vos SMS pendant qu’ils causent. Nul ne vous saurait gré de vous montrer critique face aux biendisances convenues. Restez critique in petto. Un chercheur se doit d’être sceptique. Parce que sinon, la recherche n’est qu’une fausse sceptique.