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Des mondes de musiques

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Histoire improbable d’un minstrel banjo

Dominique Maroutian

Buster Larrivée était un « neg’marron » d’une vingtaine d’années.

En 1863, il avait fui la plantation de coton avec ses contremaîtres aux fouets cruels et s’était réfugié au fond d’un lointain bayou. Les crocodiles, les serpents, et surtout les moustiques, avaient dissuadé les poursuivants lancés aux trousses de Buster. Au fond de ce lointain bayou, il fut recueilli par Aristide Bonneville, un pêcheur d’écrevisses qui l’initia aux secrets des marais.

A la fin de l’année 1865 le jeune ex esclave, devenu libre au regard de la loi, quitta le bayou et gagna la Nouvelle Orléans. Là, il rencontra un certain Charles Crimson, surnommé « Snake Oil Charlie ». Il devait ce surnom au commerce qu’il faisait en vendant une potion censée guérir tous les maux, des corps aux pieds aux fluxions de poitrine. La posologie du remède était sommaire « une gorgée pour un homme, deux pour un cheval ». Charlie était un bonimenteur hors pair et,  pour assurer son commerce il avait besoin d’un nouvel aide. L’ancien avait été lynché par une bande de salauds du Ku Klux Klan. Snake Oil Charlie engagea donc Buster. Ce dernier lui servait aussi bien pour conduire les quatre mules du chariot de son commerce ambulant que pour emballer vite fait l’estrade et la banderole publicitaire qui ornait un des flancs du chariot. Il faut dire que Charlie ne s’attardait guère après avoir vendu quelques fioles de son remède. Les coliques, les démangeaisons et les nausées qu’il provoquait invitaient à une fuite rapide pour éviter le goudron et les plumes qu’on destinait aux charlatans dans son genre. 

Buster était un comédien né, il jouait souvent l’aveugle qui retrouvait la vue, l’estropié qui gambadait à nouveau, le  muet qui parlait à nouveau, grâce aux vertus de la potion de Charlie. Une nuit, après avoir fui la ville où le remède de Snake Oil avait fait des ravages, échappant de justesse à une horde furieuse portant des flambeaux, Charles Crimson dit à Buster « Mon gars, on va arrêter notre négoce, ça devient  vraiment dangereux. ». Il tendit au jeune homme un billet de dix dollars puis alla fouiller dans un coffre au fond de son chariot. Il en revint avec un banjo au joli manche d’érable, aux cordes en boyau et au fût de frêne. « Ça appartenait à ton malheureux prédécesseur. Il est à toi maintenant. Si tu en fais bon usage, il assurera ton existence. » Charlie partit vers le nord, on raconte qu’il y fit fortune dans l’immobilier. Quant à Buster il apprit à jouer du banjo et devint même virtuose. Il s’engagea dans une troupe de Minstrel Show. Ses prestations dépassaient de loin les pauvres pitreries auxquelles se livraient des blancs grimés au cirage.  Artiste admiré, allant de théâtre en théâtre, multipliant les conquêtes, il finit assassiné par un mari jaloux, en 1883.

On retrouva son instrument dans la loge du théâtre où il s’était produit. Le croque mort chargé des obsèques s’appropria l’instrument qu’on retrouva en 1930 dans un musée de la Nouvelle Orléans où il était exposé au côté d’une photo de Buster légendée : «  Brownskin Busto 1843-1886 ».