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Des mondes de musiques

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Jean-François Vrod

On connaît bien le violoniste traditionnel

Par François Saddi

Chercheur, collecteur, passeur de tradition et spécialiste des musiques d’Auvergne, pour ses nombreuses réalisations, du "Trio violon" avec O. Durif et JP. Champeval (Silex 1991) à son duo avec Chris Wood (Ruf Records 1999), en passant par divers albums dont ses 2 CD solo, "Voyage" (Silex 1994) ainsi que celui qui lui est consacré chez Cinq Planètes en 1999.

On le connaît aussi pour ses diverses contributions autour de l’univers du conte, notamment avec Abbi Patrix au sein de la "Compagnie du Cercle".

On connaît peut-être un peu moins bien la facette "moins traditionnelle" de cet infatigable défricheur qui multiplie les rencontres, ici du côté de l’art brut ("Faire l’idiome…" 2000), là des musiques contemporaines ("3,14 etc…" 2008), actuelles (en duo avec Fantazio, 2014), ou ses aventures plus inclassables et tellement passionnantes avec ses compères de "La soustraction des fleurs" (1er CD en 2006).

Aujourd’hui sort le 2ème album de ce trio nommé "L’après de l’avant" (cf la chronique du CD dans ce même numéro), c’est l’occasion d’aller à la rencontre de ce musicien qui cherche, raconte, interprète, expérimente, invente… depuis plus de 30 ans :

Jean-François, aurais-tu quelques mots à ajouter à ce descriptif forcément très succinct de ton parcours artistique, de façon à nous permettre de mieux comprendre là où tu en es aujourd’hui ?

Oui, je pourrais ajouter qu'en 1981 je créais avec Marc Anthony (vielle) et Dominique Paris (Cabrette) mon premier groupe sérieux "Café-charbons" et en 1989 "La Compagnie Chez Bousca" avec Bernard Subert (Clarinettes, voix), Marc Anthony et Jacques Lavergne (Accordéon diatonique).

Ces deux groupes constituèrent des étapes importantes dans ma vie professionnelle.

Comment décrire la musique que tu joues, sachant que le terme "jouer" est sûrement à entendre dans de multiples acceptions, question tant pour le musical que pour le sonore et le textuel ?

Cela va bientôt faire 40 ans que je joue du violon, mes préoccupations musicales ont naturellement bougé au cours du temps. Je laisserais à ceux qui viennent me voir aujourd'hui en spectacle le soin de répondre précisément à ta question. Mais si j'avais à qualifier mon travail dans le temps, je dirais qu'il a consisté en la recherche d'une transposition contemporaine du musicien traditionnel des cultures orales de nos territoires. Comme quelques autres acteurs de ce milieu, j'ai eu la chance, en collectant, de rencontrer quelques fabuleux musiciens de ce type. J'ai tout d'abord cherché à comprendre et à rejouer leur musique, cela a donné des propositions comme celles de Café-Charbons, le Trio Violon ou plus récemment la veillée "Le jour de l'air de Jo", centrée sur la musique du violoneux Cantalou : Joseph Perrier. Puis j'ai interrogé ce qui faisait la singularité artistique de ces musiciens traditionnels au regard de celles d’interprètes d'autres expressions musicales et j'y ai adossé mon travail.

Ainsi, la corporalité particulière du musicien de tradition orale, la matière sonore singulière à l’œuvre dans ces musiques, le rôle social du musicien traditionnel et sa prise de parole publique sont devenus pour moi des chantiers d'exploration.

Pour mener ce travail, j'ai rencontré des acteurs de différentes familles artistiques œuvrant sur des chantiers voisins des miens, des improvisateurs, des conteurs, des comédiens, des performers, des compositeurs, des plasticiens...

Pour illustrer cela, je citerais "Triporteur Sonata", commande d'état portée par le Centre de Création Musicale GMEA d'Albi pour violon et dispositif haut parlant, la "Veillée rustique moderne", en solo, les productions avec la Cie du Cercle-Abbi Patrix, ou le trio La Soustraction des fleurs.

Comment procèdes-tu, ou procédez-vous avec tes compagnons de route du trio, Sylvain Lemêtre (zarb, voix) et Frédéric Aurier (violon, voix) pour construire les nouveaux morceaux ? Les points de départ sont-ils des thèmes traditionnels… des bouts de contes, ou bien partez-vous au contraire à leur rencontre, ou bien…

Pour chacun de nos 3 spectacles, le processus a été différent.

Pour le premier, nous avons passé beaucoup de temps à improviser en enregistrant, puis à analyser ce que nous avions joué. Cela nous a permis de mettre à jour le vocabulaire premier de notre trio. Dans "L’après de l'avant", où il est question de la mémoire et de notre relation contemporaine aux archives, nous avons classé la matière (compositions musicales, textes, processus d'improvisation) en blocs thématiques et travaillé à la cohérence de l'écriture de chacun des blocs. Pour notre troisième concert "Le Jardin des jardins" créé en Mai prochain aux Joutes de Correns (84), nous avons organisé le concert comme un parcours dans l'histoire, la symbolique et la poétique propres à l'univers du jardin. Ici comme dans les autres spectacles, l'écriture s'est finalisée au plateau, en relation avec la scénographie et la lumière de Samuel Mary qui nous accompagne depuis le début de notre aventure commune.

Vous construisez une sorte de pâte sonore dans laquelle s’entretissent, comme dans un contrepoint, mélodies, textes, rythmes, paysages sonores, clins d’œil…

 J'accorde depuis longtemps de l'attention au passage de nos musiques "au plateau".

C'est donc tout naturellement que la prise de parole est devenue un axe important de mon travail. Dans Café Charbons, j'étais déjà celui qui parlait entre les morceaux. Non sans quelques difficultés et maladresses  parfois ! Avec La soustraction des fleurs nous jouons ce que l'on peut dénommer un "Théâtre musical" où sons et textes sont interdépendants. N’oublions pas que dans les expressions traditionnelles, le verbe et les sons font depuis bien longtemps bon ménage. Vient ensuite le travail d'écriture pour donner à chaque objet sa place judicieuse dans le tout.

Un trio avec 2 violons et un zarb, ça questionne ! Unissons ou jeux polyphoniques à 2 violons ? Quant au zarb, constitue t’il un "outil" prétexte à ouverture vers d’autres musiques, ou bien plus "simplement" une percussion d’une incroyable richesse, tant pour ce qui est des timbres que pour celle des rythmes portés par la tradition de l’instrument ?

J'ai eu l'opportunité au début des années 80 de jouer avec Pablo Cuéco, zarbiste, puis ensuite avec Keyvan Chemirani, fils de Djamchid Chemirani, celui qui a fait découvrir le zarb en France à la fin des années 60. Ce fut à chaque fois suffisamment convainquant musicalement pour me donner l'envie de monter un trio avec un zarbiste, Ce fut Sylvain Lemêtre.

L'adjonction d'une percussion n'a rien à voir avec un quelconque projet "World Music", mais s'appuie sur la réelle complémentarité des sons du (des) violon(s) et du zarb. Ajoutons que Sylvain Lemêtre au-delà de ses grandes qualités musicales et humaines, a une très bonne connaissance des pièces du Théâtre musical savant (Aperghis, Drouet, Kagel....) ce qui en fait un compagnon de jeu idéal. Quand à Frédéric Aurier nous jouons depuis si longtemps ensemble....

Quelques mots maintenant sur la question de la pédagogie : Transmettre du répertoire, des techniques instrumentales, mais aussi un certain regard sur nos musiques et sur leur jeu…

 J'interviens comme formateur dans des contextes forts différents.

Dans le milieu des musiques traditionnelles, j'insiste sur le projet artistique des apprenants, car je crois depuis bien longtemps que la survie de nos musiques passe par la qualité artistique de que nous produisons. Avec le CPMDT (Collectif d’artistes professionnels des musiques et danses traditionnelles) dont j'assure la présidence, nous travaillons également dans cette direction notamment avec le dispositif de bourses de compagnonnage CPMDT-ADAMI. Mon intervention prochaine au DNSPM musique Traditionnelle de Poitiers ira également dans ce sens.

Par ailleurs, cette année, je travaille au sein de plusieurs CFMI sur la question du conte musical, ainsi qu'à la Faiar à Marseille comme tuteur d'un jeune artiste des arts de la rue, Alban de Tournadre. À chaque fois, j’apprends beaucoup.

 L’avenir ?

Il s'appuiera sur la création d'une toute nouvelle compagnie porteuse de mon travail, avec l'aide de Prune Lacante. Une façon de répondre à un contexte peu réjouissant, car soyons francs, entre une reconnaissance timide par la diffusion institutionnelle vis à vis de nos expressions, les difficultés financières que traversent l'ensemble du spectacle vivant et le faible portage par le milieu des musiques traditionnelles de ses propositions concertantes innovantes, la partie n'est pas encore gagnée !

Malgré cela, chaque matin, j'ai toujours autant de plaisir à jouer du violon.