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Des mondes de musiques

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Le Fado de Tânia Raquel Caetano

"j’ai chanté avant même de parler..."

François Saddi

Ouverture de saison de haut vol pour cette Scène du Monde qu’est l’Espace Prévert de Savigny le Temple (77) avec la chanteuse de Fado Tania Raquel Caetano. 

Cette jeune fadista, dont la superbe voix joue de plusieurs registres vocaux avec beaucoup de souplesse et d’expressivité, était entourée pour ce très beau concert de Philippe de Sousa à la guitare portugaise et de Pompeu Coehlo Gomes à la guitare classique. Ils ont interprété pendant près de 2h, devant un public conquis composé tout autant d’initiés que de néophytes, nombre de fado traditionnels ou plus contemporain. Faisons plus ample connaissance avec cette chanteuse encore peu connue dans l’hexagone, et qui pourtant arpente régulièrement depuis quelques années les cafés et restaurants d’Ile de France et de province.

Bonjour Tânia, peux-tu pour commencer décrire à grands traits ton cheminement, depuis ton enfance à Lisbonne jusqu’à aujourd’hui ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours entendu dire que j’ai chanté avant même de parler. Mes parents tenaient un bar associatif dans un quartier de Montijo, et quand j’en avais envie, je demandais aux clients de me porter sur une des tables de billard pour chanter ! J’avais trois ans quand ça a commencé (sourires !)… J’étais beaucoup moins timide et réservée que je ne le suis maintenant ! 

Arrivée en France à l’âge de 5 ans, bercée que j’étais par les influences de mes deux grands frères, j’ai continué à écouter les standards de la musique portugaise : Rui Veloso, Pedro Abrunhosa, Xutos e Pontapes, Dulce Pontes aussi… Pendant les longs voyages en voiture pour aller au Portugal l’été, j’écoutais absolument ce que je voulais dans la voiture et je chantais à tue tête. 

Au Collège j’ai eu la chance de pouvoir intégrer le conservatoire du 12ème arrondissement de Paris sans passer par le solfège, et ce, grâce à mon professeur de chorale qui n’a pas lâché l’affaire pour qu’on accepte mon inscription. Là j’ai découvert un vaste univers : le classique, le Gospel, les partitions, des amis musiciens, le langage, la langue musicale, un bonheur !  Au lycée, j’ai continué d’apprendre avec les artistes que j’écoutais, mais aussi et surtout grâce à mes amis, mes rencontres qui m’ont fait m’ouvrir à d’autres cha(nts)mps. J’ai découvert assez tard, le jazz, le blues, mais j’ai vite été curieuse de tout ce qui pouvait se faire en musique, en passant par la trans ou le rap et la bossa nova… J’aime tout ! Je suis hyper méga éclectique ! Personne ne sait sur quoi il va tomber quand il vient fouiner dans ma bibliothèque musicale !

Puis j’ai intégré le Groupe de Jazz du lycée, j’ai continué le théâtre, j’ai rencontré un jeune homme qui se consacrait beaucoup à la musique à l’époque et qui m’a fait travaillé d’autres genres, fait faire des collaborations, des enregistrements etc. Puis vient l’université, car les études ont toujours été une priorité pour ma famille. Ça l’est devenu pour moi : je suis partie à Nantes étudier la psychologie, puis à Lyon pour l’Histoire des Arts et enfin à Paris pour finir par obtenir mon titre de psychologue, métier que j’exerce aujourd’hui et que j’affectionne beaucoup ! Malgré tout, la musique n’a cessé de me suivre, j’ai rencontré des musiciens, fait des concerts live, des apparitions dans des festivals… Sans jamais m’y consacrer véritablement, c’est vrai !

Quels sont les événements particuliers ou rencontres marquantes qui t’ont conduit vers le chant et à devenir chanteuse de Fado ? 

Ma mère chantait lorsque j’étais petite. Elle chantait tout le temps : en faisant la cuisine, le ménage, lors de réunions de famille ou de rencontres entre amis. Elle m’a transmis sa passion, et son don, je dois dire. Le Fado n’a pas été mon premier amour mais il l’est devenu à l’adolescence, quand me reconnecter avec mes racines est devenu indispensable. J’ai commencé petite à chanter en public dès que j’en avais l’opportunité… Le Fado est devenu ensuite une forme d’expression, et ma mère m’a "laissé sa place" lors des soirées. On me demandait toujours un Fado. Ça s’est perpétué lorsque j’ai rejoint des groupes de musique : Jazz, chanson française, Gospel… On me demandait souvent une chanson a capella lors de concerts live.

Un soir de 2015 après une de ces soirées, Fatima, qui est devenue une amie, m’a demandée de me présenter dans un endroit appelé autrefois Lusofolie’s (notre scène ouverte du Fado) dans le 12ème arrondissement de Paris où étaient organisées des soirées de Fado Vadio. "Fado bohème, Fado vagabond" si on doit traduire grossièrement. J’étais très étonnée d’apprendre que dans le quartier où j’avais grandi, on y chantait le Fado. Imaginez un endroit avec des musiciens de Fado, et puis des personnes qui passent tout au long de la soirée et qui pointent sur scène si ça leur chante ! (C’est le cas de le dire !) Vous vous posez dans un restaurant, et puis quelqu’un passe la porte, chante deux trois Fados, vous souffle un truc de dingue ! A tomber par terre souvent, puis s’en va… On voit beaucoup ça à Lisbonne. Et donc, c’est ce soir-là, un soir de 2015, que tout a commencé. Pour la première fois je chantais avec des musiciens, sans trop savoir où ça allait me mener, mais je leur ai fait confiance et ils m’ont littéralement portée ! C’est un de mes plus beau souvenir, on m’en parle encore ! J’y ai rencontré Philippe de Sousa, qui joue de la guitare portugaise et Nuno Estevens (aujourd’hui de retour au Portugal) qui lui joue de la guitare classique, ils m’ont "pris sous leur aile". Pendant 3 ans ce sont eux qui m’ont accompagnée, me faisant découvrir le monde du Fado parisien et le monde du Fado tout court. J’ai beaucoup appris avec eux, et j’apprends encore. 

Avec Philippe de Sousa - Photo DR

Quelques mots pour décrire ce qu’est le Fado d’une façon générale et pour toi en particulier…?

Un état d’esprit. On ne peut pas vivre le Fado si on ne le sent pas… C’est parfois lourd à porter, parce que c’est un morceau de soi… Le Fado, pour moi… c’est comme si on parlait d’âme à âme. Surtout que je chante en France pour des personnes qui souvent ne me comprennent pas… C’est un peu comme le théâtre, on doit sentir, s’imprégner de l’histoire du poème qu’on raconte, pour ensuite le livrer de la manière la plus sincère. Je ne sais pas faire semblant. Sur scène c’est impossible. Ma plus belle des récompense, c’est quand certains spectateurs viennent me voir et me disent : « J’ai pas tout compris, mais je l’ai vécu avec vous ». Là, moi, j’ai tout gagné ! Tout comme le Fado qui peut être plus joyeux (il faut le vivre, sinon on ne raconte rien), "A saudade" c’est une nostalgie, une mélancolie triste ou plus heureuse, peu importe. Elle n’a pas de traduction littérale mais on peut la partager en chanson et c’est génial !

Concert avec Miguel Gameiro - photo DR

 

Donnes-tu souvent des concerts en France ? Arrives-tu à en vivre aujourd’hui ? 

Je donne des concerts en France ; de plus en plus à vrai dire. Cette rentrée a été incroyable : théâtre, ce fameux Espace Prévert ! Et dans deux semaines, l’Hôtel de ville pour un Gala en duo avec Miguel Gameiro, un grand artiste portugais. Je suis très très heureuse, mais malheureusement je n’en vis pas. Ce n’est pas facile et c’est très à la mode aujourd’hui… C’est un milieu qui ne vous ménage pas. Ce sont des rencontres, beaucoup de persévérance et une part de chance. Il faut démarcher tout le temps et longtemps quand comme moi on n’a pas de manager. D’autre part, je ne suis pas instrumentiste, donc en plus, je dépends des musiciens… Ça n’est pas évident. Aujourd’hui je dirais en plus de tout ça, que j’ai cette sensation qu’on vous demande d’être d’ores et déjà un "produit exploitable". Il y a tellement de monde qui veut faire de la musique et qui est prêt pour ça. Les réseaux sociaux accélèrent tout ce mouvement notamment… Et moi, je ne suis pas assez visible, je pense…

Sur scène, tu étais entourée lors de ce très beau concert de deux musiciens particulièrement remarquables, tant par la qualité de leurs jeux que par leur écoute. C’était un moment assez magique ou le temps était comme suspendu ?

Oui, j’ai beaucoup de chance, j’étais avec Philippe de Sousa dont je vous ai parlé et de Pompeu, qui lui me suit depuis que Nuno est parti au Portugal et avec qui j’ai une grande complicité. 

On sentait là un trio redoutablement efficace sur le plan technique, et pour autant, et peut-être surtout, distillant une musique toute en sensibilité et en finesse ?

Ils m’écoutent, on s’écoute, c’est un véritable dialogue, je pense que c’est ce qui transparaît. Ils respirent avec moi ! Et je dois ajouter qu’ils croient en moi, ils croient en ma capacité à interpréter le Fado et c’est indispensable. On ne répète pas beaucoup ensemble en vérité (rires), chacun de notre côté. Et ça n’est pas plus mal, les morceaux on les connaît. Ce que l’on travaille quand on se voit ce sont les nuances. Savoir où je veux emmener le Fado, ce que je veux faire de ce morceau. C’est l’essence même du Fado en réalité ; pourquoi cette musique ? Pourquoi ce poème ? On ne choisit pas un Fado, seulement parce qu’on aime bien le chanter. Selon moi, c’est parce qu’il nous parlent avant tout. Chez un autre artiste, un même morceau va sonner à l’oreille comme quelque chose de complètement différent parce qu’il vous emmène autre part avec sa sensibilité, sa finesse et son histoire propre. 

Quels sont les projets à venir ? Peut-on imaginer un premier album d’ici quelques temps ?

J’aimerais ! Je pense d’abord à un EP, sur lequel je suis déjà en train de travailler… Je lance d’ailleurs un financement participatif sur Ulule d’ici peu. Cela me permettra de prendre en charge tous les coûts relatifs à la confection d’un CD et, surtout, de le faire dans de bonnes conditions pour tous les professionnels qui participeront à l’aventure. Ensuite… Retourner à Lisbonne pour me frotter d’avantage aux maisons de Fado et leurs musiciens. Grâce à l’aide de ceux qui participeront à la confection de l’EP, je pourrais qui sait l’enregistrer là bas !  J’ai fait de très belles rencontres et la consécration serait de faire un concert à Lisbonne.

https://fr-fr.facebook.com/TaniaMusica/

 

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