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Des mondes de musiques

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Mze Shina

Au coeur des chants polyphoniques de Géorgie

Gérard Viel et John Bro

Musique traditionnelle, musique folk, world music, musique ethnique, folklorique, actuelle ….que de boîtes (souvent fermées) pour parler d’un patrimoine musical. Rencontre pendant le festival " Au Fil des Voix" en février 2018chaleureuse avec Denise et Craig Schaffer. Ces deux artistes sensibles, humanistes, citoyens du monde, empreints d’humanité, d’échanges culturels sans frontières et sans barrières, nous parlent de leur travail autour du répertoire des chants polyphoniqes de Géorgie.

 

Comment s’est fait votre rencontre ?

Craig : Je suis venu en France en décembre 1993 avec un groupe Spiral Bound – on jouait des chansons irlandaises traditionnelles. On se produisait dans la région parisienne et Denise est venue nous entendre. J’étais intrigué par ses instruments turques et nous avons commencé à jouer des ballades irlandaises ensemble, saz, tambûr turque (lutes) avec dulcimer, bodhràn, shruti box podorythmie…

Quel est votre parcours musical ?

Denise : J’ai eu une première guitare à l’âge de 8 ans. J’ai écouté beaucoup de musique à la fois classique et traditionnelle car ma mère est péruvienne et aimait beaucoup les deux répertoires. Puis j’ai fait des études de pharmacie, donc rien à voir sauf que j’étudiais en écoutant des musiques du monde et du Bach. Plus tard j’ai travaillé avec un ethnomusicologue turc, un extraordinaire chanteur et virtuose du saz : Talip Özkan. Il m’a appris à jouer le saz et le tambûr turc ainsi que la musique classique et populaire de Turquie. J’ai étudié pendant 6 ans avec lui, j’allais chez lui deux fois par semaine. il avait comme un salon de musique où je rencontrais d’autres musiciens traditionnels. Puis je suis « tombée » dans la polyphonie géorgienne

Craig : J’ai grandi dans une famille qui chantait tout le temps, mon père jouait de la trompette et ma mère chantait dans une troupe musical amateur. Je chantais dans des chœurs d’université dans un répertoire jazz, renaissance, classique. Un jour, on m’a donné un dulcimer de Appalaches et je commençais à écrire des chansons. Plus tard j’ai rencontré Matt Grennhill et nous avons formé le groupe irlandais Spiral Band. Quand j’ai déménagé en France, j’ai rejoint Marani, un ensemble parisien qui chantait des chansons géorgiennes, dirigé par un américain Frank Kane. Le groupe est allé en Géorgie en 1996, c’est alors que nous avons formé le trio Mze Shina et on n’a jamais regardé en arrière.

Comment s’est fait votre découverte du répertoire des chants polyphoniques géorgiens ?

Denise : Cela a commencé en Géorgie lors de mon premier voyage. Je suis d’abord allée en Turquie puis j’ai rejoint l’ensemble Marani dont faisait partie Craig. C’est un hasard et une chance que les deux pays soient frontaliers ! C’est là-bas que j’ai eu le coup de foudre en entendant comment ces chants étaient partagés car le contexte actuel de ce répertoire est le banquet chanté appelé « Soupra » qui est en Géorgie une pratique très anciennes, avec des règles précises qui en font un véritable rituel de la table. Mais c’est avant tout évènement festif, une célébration de la rencontre. C’est unique et ça peut durer des heures !

Craig : J’ai toujours adoré les harmonies, et je trouve cette musique extraordinaire. En Californie, c’est toujours moi qui travaillais les arrangements dans les différents projets musicaux ou je participais. Le chant géorgien a une réelle intensité physique, il n’y a rien d’intellectuel ou d’artificiel. Les chansons de travail qui rassemblent des gens, des chansons de « table » très poétiques, des berceuses chantées, mais avec beaucoup d’émotion. Le chant géorgien s’exprime aussi en une quinzaine de styles régionaux, et je les aime tous, les drones hypnotiques de Kakheti, la majesté rude des chansons de Svanetie qui se termine en danses folles. Le contrepoint comique des chansons des cavaliers de L’Imérétie, les improvisations sans fin et le « yodeling » spectaculaire de Guria. La poésie splendide de Tousheti, la puissance sauvage des chansons Ratchan, le parfum de la Mer Noire des chansons de fêtes tapageuses d’Adjara, et les magnifiques mélodies et sonorités du chonguri de Samagrelo, sans parler du génie du répertoire religieux. Mze Shina a eu le bonheur de rencontrer plus grands maîtres de cette musique et nous avons remarqué que pratiquement tout ce qu’on a entendu a soulevé notre enthousiasme. Au fil des années, j’ai développé mes propres associations entre chansons et lieux, ainsi qu’avec les gens avec lesquels on a chanté. Les choses qui étaitent dites, des moments de beauté qui stimulent mon imagination même aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous à touché personnellement dans ce projet géorgien ?

Denise : c’est la fusion des voix, la richesse de l’harmonie et les vibrations extraordinaires qui se dégagent de la rencontre des voix. C’est véritablement physique.

Quelle é été la difficulté pour vous de l’apprentissage de ce type de répertoire ?

Denise : Chaque région a sa spécificité et sa technique vocale. Les différentes langues régionales et le géorgien m’ont donné du fil à retordre comme arriver à prononcer cinq consonnes à la suite sans voyelles !

Craig : Ne pas vivre en Géorgie a été le plus compliqué. Et puis, il y a la langue qui est difficile à comprendre et, même avec un tuteur particulier, c’est une chose énorme à entreprendre. La prononciation est très subtile, c’est vraiment intimidant. Rien que d’apprendre la musique, est assez surprenant pour nos oreilles de l’ouest, et demande beaucoup de travail.

Est-ce que ces chants polyphoniques sont de traditions orales ? Où il existe des partitions ?

Craig : Où il existe des partitions, même si c’est une tradition orale vivante, mais une poignée de musicologues en ont transcrit un peu. Rappelez-vous, c’est un énorme répertoire, il faudrait plusieurs vies pour transcrire les chansons les plus connues.

Comment a débuté l’aventure Mze Shina ?

Denise : au départ, il y avait Craig et Laurent qui chantaient dans Marani car c’était un groupe d’hommes. Et puis il y a eu la possibilité d’intégrer une compagnie de théâtre sur un projet à la Peter Brook avec des musiciens sur scène et un spectacle qui dure six heures. Laurent était comédien dans cette compagnie. C’est là que nous avons formé notre trio et quand je suis tombée enceinte de notre première fille Elsa. Nous avons donné le nom Mze Shina à notre trio car cela veut dire le soleil intérieur  en géorgien. Le soleil c’est: l’enfant dans le ventre de la mère et c’est le titre d’un chant de sage-femme.

Craig : Mze Shina a commencé à l’aéroport de Tbilisi en 1995. On attendait notre vol de 4h du matin vers Paris et on était plein d’émotions indescriptibles. Denise disait qu’elle voulait se mettre à chanter des chansons en géorgien immédiatement ! Nous avons choisi Laurent Stephan, un acteur et la meilleure basse de Marani, et commençait à répéter en trio. On était d’accord tous les trois qu’on n’aimait pas la façon de Marani de présenter la musique de Géorgie en concert ; c’était très court et ça sentait le musée, nous avons décidé d’aller dans une direction artistique différente. Ce qui nous a poussé en avant c’était quand une production théâtrale dont Laurent faisait parti nous a demandé d’accompagner le spectacle, Masks, de François Cervantes. On a passé beaucoup de temps en tournée ensemble et nous avons donné nos premiers concerts. Je voulais un nom ayant affaire au soleil, et Frank Kane a proposé Mze Shina, une chanson que chantaient les sages-femmes à la naissance, ce qui rimait avec la situation, et Denise attendait notre premier enfant.

Quel est votre plus fort, et meilleur souvenir d’un concert Mze Shina ?

Craig : cela pourrait être le concert à Tarbes où 1000 chanteurs Basques, Béarnais, et Gasconnais nous avaient donné notre première ovation ? Ou au Théâtre Paillette de Rennes en janvier dernier quand nous  créé notre œuvre théâtrale ODOÏA, une émotion fantastique a balayé la salle entière. Sans oublier le concert de février dernier au festival Au Fil des Voix. Notre ami, le metteur en scène, Gaël Le Guillou, avait proposé un éclairage subtile pour le public afin qu’on puisse réellement se regarder mutuellement ; ça a créé une intimité comme si on chantait chez soi avec des amis et de la famille… c’était très impressionnant, beaucoup de professionnels et un public parisien très sophistiqué.

Comment réagit le public à vos concerts ?

Denise : Le public est véritablement touché, il y a de l’émotion et c’est palpable !

Craig : Au départ la musique est un peu étrange et il y a probablement beaucoup d’activité cérébrale en se demandant pourquoi un péruvien, un américain, un breton, et un marseillais ont choisi de faire ce type de musique ! Mais le cerveau se débranche au bout d’un certain temps et je pense que les gens commencent à comprendre, qu’elle a était créée pour des moments lumineux et des moments sombres de la vie. Ce répertoire est remplit d’énergie et d‘émotion et que nous partageons, ce n’est pas quelque chose qui résiste à la barrière des langues.

Est-ce que l’on peut faire une carrière de musicien professionnel sur ce type de programme ?

Denise : Visiblement, nous en sommes la preuve vivante !

Craig : C’est un pari fou, et je ne peux penser qu’à une poignée de projets professionnels de chant d’harmonies de folk traditionnel qui réellement “gagnent leur vie”: Chet Nuneta, Cor do la Plana, A Filletta, Barba Loutig, Vox Bigerri...

Est-ce que vous consacrez votre vie professionnelle avec Mze Shina ou vous avez d’autres activités artistiques ?

Denise : c’est vrai qu’il y aussi d’autres projets, mais rien qui ne prenne autant de place dans notre vie que Mze Shina.

Craig : nous avons d’autres projets, je continue à écrire et à jouer des chansons avec le dulcimer et des sculptures de sons avec un « looper ». Denise et moi faisons toujours des ballades irlandaise en tant que VOYCE et nous avons formé un groupe avec nos filles qui s’appelle « Fly Away » dans lequel nous interprétons des vieilles chansons américaines et des gospels.

Quel regard portez vous sur la musique traditionnelle, folk ou musique du monde en France ?

Denise : je suis un peu déçue par le regard des professionnels sur cette musique, pas du public qui lui est très ouvert, très curieux et sait savourer tous les styles de musique. Par contre l’univers des salles et des festivals demande à la musique en France d’être une musique « accessible », ce qui se traduit souvent par soit une fusion qui se veut surtout festive et/ou une musique folklorique avec les danses et tout le tra lala. C’est très réducteur. Je pense aussi que le folk que nous pratiquons et aimons est surtout développé chez nos voisins allemands et anglais.

Craig : « Musiques du Monde » aujourd’hui en France a tendance à être un mélange de un ou plusieurs sons ethniques avec des instruments modernes : batterie, basse, synthétiseurs, etc. Cela implique de grosses productions destinées à faire de l’argent pour le producteur (et les groupes) : malgré ça, dans mon expérience, ça ne fait qu’une espèce de soupe non-identifiable. C’est rare qu’un projet puisse mélanger différentes cultures avec assez de sensibilité et de goût pour que ça aie un sens. Alif est un bon exemple. En ce qui concerne la « musique folk », j’ai l’impression que « folk » n’est pas un genre qui inspire tellement le publique français. La musique « traditionnelle » semble distincte du « folk » malgré des artistes et des points en commun. Quand je me sers du mot « traditionnel », il a un poids, un sens. C’est la musique qui incarne et perpétue les valeurs humaines, quel que soit le pays d’où elle vient.

Denise, tu dois partir seule sur une île déserte, quel serait le disque que tu emporterais ?

L’intégrale des Partitas de Bach jouées par Glenn Gould

Craig, tu dois partir seule sur une île déserte, quel serait le disque que tu emporterais ?

Brian Eno et David Byrne – My Life in the Bush of Ghosts !!!!

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