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Des mondes de musiques

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PASTELLE LEBLANC

L'ÂME DE LA MUSIQUE ACADIENNE

Etienne Bours et Gérard Viel

Pastelle Leblanc du groupe Vishtèn nous a quittés. Elle avait 42 ans.

 

Photo ouverture Ulrike Bünner (festival des Traversées Tatihou août 2019)

Ma rencontre avec les soeurs Pastelle et Emmanuelle Leblanc de l’Ile du Prince Edouard est restée gravée dans ma tête et dans mon coeur… C’était à la Franco-fête acadienne  de Moncton (ville du sud-est du Nouveau-Brunswick / Canada) en 2000. Leur groupe avait retenu mon attention à cause de leur nom de scène « Celtitude », il était composé de Pastelle et Emmanuelle, la violoniste Melissa Gallant et un guitariste dont le nom m’échappe.
Quand ce groupe a commencé à envoyer des notes,  j’ai été touché à l’âme, au coeur et au corps…. Leur fraîcheur, leur jeunesse et surtout leur sincérité m’ont transporté dans la tradition musicale acadienne mais avec une énergie contemporaine. Le groupe débutait, c’était parfois hésitant mais tellement vrai, et à dimension humaine. Sur scène Celtitude recrée les atmosphères des « partys de cuisine » comme à la maison.
Ce n’était pas pensé, c’était joué avec passion et convivialité.

Le groupe Vishtèn ( Emmanuelle, Pastelle Leblanc, Pascal Miousse) en aout 2019 au festival des Traversées Tatihou (photo Bruno Bonnemains / Ouest-France)



En août 2001 Celtitude traverse l’Atlantique,  débarque en Normandie pour un concert qui est resté dans les mémoires des festivaliers des Traversées de Tatihou (à St Vaast la Hougue). En arrivant sur la scène elles déclarent au public de vouloir « « Faire tomber le  public en amour. ». Pari réussit, avec quatre rappels et un public qui ne voulait pas les laisser partir. Elles ont du recommencer les deux premiers morceaux de leur répertoire!
Le groupe à su se remettre en cause et a évolué en se baptisant Vishtèn,  tout en restant fidèle à ses racines acadiennes.  Pastelle était une musicienne sensuelle, chaleureuse, sensible et à fleur de peau. Elle savait trouver les notes magiques avec son accordéon et sa voix claire et limpide pouvait chanter la tradition acadienne, mais également des « tounes » plus contemporaine ! Elle savait toucher le coeur du public.

Eh oui, c’était tout au début du XXIème siècle. Nous voilà, Gérard Viel et moi, présents à Moncton pour la Franco-fête. Gérard que je ne connaissais pas encore représentait le Festival de Tatihou (Les fameuses Traversées), je représentais le réseau des médiathèques de mon petit pays et divers magazines dans lesquels je scribouillais. Nous étions donc, en plein mois de novembre, dans le New Brusnwick. N’allez pas commettre l’erreur habituelle en disant que nous étions au Québec. Du tout : c’était l’Acadie dans toute sa splendeur.


L’Acadie est un bout de terre que les Européens croient connaître sans pour autant savoir le situer. Un coin du monde dont le nom fait rêver, véhiculé dans un amalgame symbolique et diffus par la chanson et le langage. Cette région a vécu une saga digne d’une ballade, un périple qui se chante plus qu’il ne se raconte. C’est l’histoire d’une terre d’Amérique, des luttes entre les puissances européennes pour se l’arracher, des drames des petites gens venus s’y installer. C’est aussi l’histoire d’une culture francophone bringuebalée d’un bout à l’autre de la grande Amérique du Nord. C’est, aujourd’hui, des provinces maritimes du Canada à la Louisiane américaine, deux peuples frères ou cousins s’exprimant haut et fort, dans un langage coloré original qui transpire un savant mélange des terres d’Europe et de celles du New Brunswick ou des bayous du sud des Etats-Unis.
Dans cette Acadie du Nord, on parle un langage étrange, qu’on nomme chiac. Un parler sur lequel cracheraient certainement les cerbères de la langue de Voltaire, mais un parler vrai, transpirant l’histoire et la racontant mieux que tout historien. Le chiac, c’est l’anglais et le français qui partouzent comme des enragés, se moquant des oreilles des honnêtes gens. “Ce matin, le temps était boring quand j’suis sortie prendre ma smoke”, me disait la propriétaire de l’auberge pour me signaler que le temps était maussade quand elle était sortie fumer sur sa galerie! Une langue qui dit : “Enjoyez-vous” est une langue qui en dit long sur la région, son peuple et sa vie, tout simplement. Mais la musique en fait tout autant, subtil mélange d’origines diverses, de danses venues d’Ecosse ou d’Irlande et de chansons venues des régions de France.

(photo Jeunesses Musicales de Liège)


Ce n’est pas un hasard si l’on organise à Moncton une Franco-fête durant laquelle sont saluées et mises à l’honneur les musiques et chansons des pays francophones !
Alors, Gérard Viel et moi on a appris à se connaître en se délectant de copieux sandwiches au homard, arrosés de vin blanc et puis, et surtout, en écoutant les artistes du coin. Se succédaient sur les scènes de Moncton divers groupes acadiens, tantôt chanson/rock, tantôt expression traditionnelle aux relents de folk écossais ou irlandais. Les Ecossais se sont massivement installés sur ces terres de l’Est canadien. Mais pas mal d’Irlandais ont apprécié aussi les territoires habités par des « Français » parce que catholiques.


Et voilà qu’un soir on nous présente un groupe de très jeunes femmes qui jonglent avec violon, tin whistle, piano, voix et podorythmie. Elles s’appelaient Celtitude et nous étions bien d’accord avec ce nom tant il évoquait les méandres de leur musique dont la très belle île du Prince Edouard était l’un des berceaux. Au sein de ce groupe, on remarquait immédiatement deux sœurs jumelles : Emmanuelle et Pastelle Leblanc. Leurs quatre mains et leurs quatre pieds dégageaient une ferveur musicale garantissant aux habitants du cru une chaleur partagée qui devait faire reculer leurs hivers les plus rudes.

(photo Jeunesses Musicales de Liège)


Alors, Gérard et moi on s’est dit que ces jeunes femmes devraient un jour ou l’autre venir jouer sur nos scènes européennes. Elles ont fourbi leurs instruments, Pastelle s’est mise à l’accordéon, elles ont choisi le nom de Vishtèn pour leur groupe, elles ont enrôlé un remarquable violoniste, Pascal Miousse, et leurs chemins ont fini par croiser les nôtres de ce côté de l’Atlantique. Tatihou mais aussi les Anthinoises en Belgique en 2014 et puis un concert mémorable à Liège au tout début 2020, juste avant l’extinction des projecteurs par un virus. Un concert devant plus de 500 personnes dans une salle habituée aux musiques classiques. Un événement de simplicité et de musicalité populaire dans le meilleur sens du terme. Les jumelles Leblanc et leur comparse nous ont tout donné avec une générosité rare. Aujourd’hui Pastelle s’en est allée laissant sa sœur bien seule face à leurs instruments, à leurs chansons, à leur imagination enracinée dans les terres de leur île… Son beau prénom nous laisse d’incroyables images et sa belle musique d’inoubliables mélodies…

(photo Jeunesses Musicales de Liège)

 

 Nuits de Fourviére - Lyon 2018