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Des mondes de musiques

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PIERRE BENSUSAN

UNE VIE AVEC LA GUITARE

Gérard Viel

Pierre Bensusan, guitariste de réputation mondiale, nous parle de sa vie de musicien et de sa relation avec la guitare

 

Quand et comment as-tu commencé la musique ?

Nous arrivions d’Algérie en 1962 et mes parents avaient réussi à sauver quelques meubles dont notre piano Pleyel. Nous nous sommes installés à Suresnes où mes deux sœurs, plus âgées, ont continué de prendre les cours de piano qu’elles avaient commencés à Oran. Je me suis mis, moi aussi, au piano classique à l’âge de 6 ans. Ma maman avait repris son travail d’institutrice et mon papa avait ouvert une épicerie à la Cité de la Tuillerie et proposé à l’une de ses clientes, Madame Rosso, prof de piano, de me donner des cours en échange de courses dans son magasin. Ce « deal » a duré quatre ans. Elle a quitté la région parisienne et je me suis retrouvé comme un orphelin. J’ai appris à jouer et lire la musique en même temps et apprenais les morceaux qu’elle me donnait à choisir. Elle m’a fait passer le concours Léopold Bellan que j’ai réussi avec Mention malgré quelques erreurs ! Je vois aujourd’hui la profondeur de sa transmission. J’ai essayé d’autres profs, le conservatoire de Suresnes, mais n’ai pas aimé et ai momentanément arrêté de jouer du piano. La musique avait quitté ma vie pendant plusieurs mois, je préférais dessiner...

Comment la guitare est entrée dans ta vie ?

Mon père était un grand fan de Django. Un jour, il m’a amené une guitare acoustique à cordes métal qu’il avait récupérée chez un marchand de biens à qui il avait vendu le piano – pensant que je ne le jouerai plus, mes sœurs avaient arrêté d’en jouer depuis plusieurs années. Il a sans doute  été un peu trop rapide dans ces déductions, quoiqu’il en soit, la guitare a remplacé le piano dans ma vie. J’ai écouté le disque de Narcisso Yépès interprétant Jeux Interdits et trouvais à l’écoute comment accorder la guitare en Mi La Ré Sol Si Mi tout en apprenant le morceau d’oreille. Je n’ai plus jamais pris de cours et appris l’instrument en autodidacte. C’était le début de notre relation. Aujourd’hui, j’utilise le clavier pour m’aider à composer ou pour driver des instruments virtuels.

Quel est ton parcours musical ?

La maison était remplie de musique. Mon père, le week-end, écoutait du Swing, le Hot Club de France, du Tango, du Musette, Du Classique, de l’Opéra... Mes deux sœurs plus âgées, qui avaient aussi pris des cours de piano, écoutaient, pour Sarah, les Beatles, Elton John, toute la Pop Anglo-Saxone, mais aussi Barbara, Régianni, Antoine, Dylan, Paco Ibanez… Marie-Jeanne adorait Ray Charles, Nina Simone, Sonny Rollins… Ma mère psalmodiait des chants Arabo-Andalous et des vieilles chansons Françaises. C’était mon quotidien. La musique m’était offerte comme un panier de fruits, i n’y avait qu’à se servir. Je m’aperçois que très vite et inconsciemment, j’ai toujours cherché à rassembler toutes ces influences en une seule pour créer mon propre Esperanto de la musique.

J’ai chanté beaucoup de Brassens, Dylan, Graeme Allwright, Leonard Cohen, Joan Baez, Maxime le Forestier, Pete Seeger… J’écoutais les Bluesmen du Delta et découvrais le Bluegrass par Doc Watson, Seldom Scene, Flatt & Scruggs, Bill Monro, Les Country Gentlemen, le film « Delivrance » ... . Me suis mis à la mandoline et jouais avec plusieurs groupes dans la banlieue de Paris. Parallèlement, je travaillais la guitare à fond et écoutais Allan Stivell et son album « La Renaissance de la Harpe Celtique » . Je m’introduisis aussi à la scène de guitare folk-Baroque d’Angleterre, avec John Renbourn, Bert Jansch, Nic Jones, Davey Graham, Dick Gaughan, Martin Carthy... J’écoutais Malicorne, Fairport Convention, La Bamboche, Griphon, Gentle Giants, Steeleyspan en boucle. Il y avait aussi Denis Gasser, un guitariste Français qui gravitait, comme moi, dans le cercle des Folk-Clubs Parisiens et qui m’impressionnait par son approche pianistique de la guitare. Je me rendais compte que moi aussi, je cherchais à re-jouer du piano à la guitare. Avec des copains, nous avons repris le Folk Club, le TMS (Traditional Mountain Sound) que Bill Deraime avait fondé en 1969, empreint de tout ce qu’avait véhiculé la révolte de mai 68 et la guerre du Vietnam. C’est là que j’ai rencontré Alain Giroux avec qui nous avons créé « Doctor Jug and Mister Band ». Denis Phan, disquaire à la Rue Notre Dame des Champs, venait souvent et un jour m’a proposé de rentrer dans le groupe qu’il montait autour du banjoiste mythique, Bill Keith, pour tourner dans toute l’Europe, avec aussi Jim Rooney, Claude Lefèbvre, Hervé de Ste Foy ou Gérard Lavigne. J’avais 17 ans, avait arrêté mes études un an plus tôt et c’était exactement ce que je voulais faire, de plus, on m’amenait sur un plateau le cadeau de me faire jouer avec un musicien que j’adorais. Ça a été mon premier job comme musicien professionnel. Je jouais de la mandoline dans le groupe de Bill, mais aussi introduisait la seconde partie des concerts par trois morceaux solo, instrumentaux et chantés à la guitare. Tous les organisateurs m’on ré-invité l’année d’après. Ça a été la fin de mon parcours dans le Bluegrass. J’enregistrais mon premier album « Près de Paris » cette même année (1975) pour le label Cézame. L’album allait décrocher la Rose d’Or/Grand Prix du Disque du Festival de Montreux l’année d’après. Bill avait créé Le Keith Style au banjo ou style mélodique, une manière de distribuer les notes d’une mélodie sur autant de cordes que possibles. Cette manière pianistique ou harpisante de considérer le son et la technique m’a énormément inspiré pour mon approche de la guitare.

 Quelles sont tes principales influences musicales ?

En vrac : Classique, Folk, Musiques du Monde, Pop, Jazz, Baroque, Orientale, Latino, Brésilien, Blues, Ragtime, Tango, Electro, Contemporrain, Bethooven, Chopin, Bach, Mozart, Schuman, Bernstein, Arthur Rubinstein, Dinu Lupatti, Glen Gould, Michel Legrand, Brassens, Barbara, Dylan, Les Beatles, Steeleyspan, Django et Grappelli, Paul Simon, Joni Mitchell, Leonard Cohen, Cat Stevens, CSN&Y (Crosby, Stills, Nash & Young), Doc Watson, Bill Keith, Alan Stivell, Joan Baez, Renbourn, Jansch, Carthy, Jimmy Hendrix, Charles Mingus, John Mc Laughlin, Earl Klugh, Weather Report, Gorge Benson, Egberto Gismonti, Jobim, Hermeto Pasquoal, Paco De Lucia, Ralph Towner & Oregon, Thomas Newman, Milton Nascimento, Bill Evans, Wayne Shoter, Herbie Hancock, Astor Piazzola, Miles Davis, John Coltrane, Joe Zawinul, Ravi Shankar, Didier Malherbe, Seamus Ennis, Ry Cooder, Planxty et beaucoup d’autres…

Que ressens tu quand tu tiens une guitare entre tes bras ?

C’est comme retrouver une amie de toujours et la continuation de moi-même, mais aussi une grande dignité et responsabilité pour la musique et les personnes qui l’écoutent. Un mélange d’immense plaisir et aussi d’angoisse, de doute et de frustration, même si ces sensations sont aussi de puissants moteurs qui permettent d’avancer. Qu’est-ce que je peux jouer dans ce monde où il existe déjà tellement de musique, qui soit le reflet de mon moi profond et qui apporte quelque chose, sans voler, trahir, ni redire, mais véritablement signer mon son ?..

Photo : Desmond Wenghe

Comment l’accord DADGAD a changé ton jeu ?

Étant autodidacte, j’ai essayé d’autres manières d’accorder l’instrument à l’instar des Bluesmen que je vénérais mais aussi de musiciens comme Martin Carthy ou Joni Mitchell. C’est comme ça que je trouvais l’accordage de DADGAD (Ré, La, Ré, Sol, La, Ré) en 1973 et petit à petit, il a pris une place prépondérante dans la palette des accordages que j’utilisais jusqu'à ce que j’en fasse mon accordage standard dès 1978. C’était très facile de tomber sur cet accordage par hasard et c’est sans surprise que d’autres aussi l’ont découvert dans leur coin, comme Davey Graham, Jimmy Page, Ry Cooder, Joni Mitchell. Il m’a singularisé dans l’univers des guitaristes et m’a montré un autre chemin sonore me poussant à étudier la guitare différemment et d’une manière non-académique. L’idée étant de connaître son manche, pouvoir jouer dans n’importe quelle tonalité, avec ou sans capo et d’improviser. Là, la musique n’est plus la résultante hasardeuse de l’accordage mais le fruit de l’étude et de l’imagination.

Sur quelles guitares joues-tu ?

Ma première guitare était celle que mon père m’a offerte et qui n’avait aucun nom. J’ai ensuite joué sur une Eko 12 cordes (Italie), sur une S-Yari (Corée du Sud), sur une Gurian (USA) avec laquelle j’ai enregistré mes 2ers albums, puis sur une Lowden (Irlande du Nord) dès 1978. George Lowden et moi-même avons baptipsé cette première guitare « The Old Lady ». Je l’ai jouée pendant 25 ans, puis sur une Kevin Ryan (USA) pendant 4 ans et avec laquelle j’enregistrais « Altiplanos ». Je suis revenu chez Lowden avec mes deux modèle Signatures que je joue depuis. Ma préférée restant « The Old Lady ».

En concert comment sonorises tu ta guitare ?

Avec un capteur piezzo LR Baggs, 1 Pédalier TC-Helicon Voice Extreme 3 + un rack SKB 4 U qui contient :

1 Neve 8801 (mic pre, limiter, compressor and EQ), 1 DBX Rack pour controller la façade et règler les enceintes avec un micro de mesure DBX, 1 DBX 31 band graphic EQ pour le monitoring, 1 In-Ear Shure système sans fil PSM 300-Transmiter P3P pour les retours en oreillettes, 1 Line 6 Relay G55 pour rendre la guitare sans fil, 1 micro Neuman mic KMS 104 pour la voix. Pas de micro pour la guitare, du câblage Vovox, 2 enceintes L-Acoustics L-108 bi-amplifié.

Photo Christian Taillemite

Comment as-tu travaillé pour la composition, les arrangements et l’enregistrement de ton album AZWAN ?

« Azwan » est un album très écrit, avec des plages laissées à l’improvisation. Certains des morceaux ont mis des années avant d’arriver à maturité, d’autres, comme « Azwan » ont été rêvés. J’ai pris deux années quasi sabbatiques, sans beaucoup tourner pour me laisser le temps de bien approfondir le sujet. Ensuite, j’avais synchronisé la sortie de l’album avec 150 concerts aux USA, Europe et Chine. La tournée devait démarrer en mars 2020. On connaît la suite…

Est-ce que tu joues de la guitare tous les jours ? 

Oui, entre la pratique, l’écriture et l’enregistrement, je travaille entre 2 et 12 heures quotidiennement (ou presque)