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Des mondes de musiques

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Pierrick Lemou "Violons de Terre"

Rencontre au coeur de l'âme du violon

Gérard Viel

Artiste emblématique du violon et du renouveau des musiques trad en France, Pierrick Lemou est un musicien qui défend avec passion nos musiques avec son violon depuis plus de nombreuses années ! Je l’ai croisé souvent au sein de différentes formations : La Mirlitantouille, Djiboudjep, La Godinette etc. Il a réalisé un important travail de collectage en Bretagne et il a le souci de la transmission avec son enseignement de la musique bretonne et irlandaise lors de nombreux stages. Il vient de produire un album « Violons de terre » qui va devenir au fil des années la référence dans le domaine de l’éducation musicale du violon. Rencontre autour d’une bonne table avec un homme de l’art et un passionné d’humanité !

Qu’entends tu par l’expression « Violons de Terre » qui est le titre de ton nouvel album ?

C’est avant tout un terme générique pour raconter différentes choses rattachées à des sentiments, des couleurs, des ambiances, des paysages, des émotions, dont le fil conducteur est bien évidement le violon et ses lointains ancêtres. Mes « Violons de Terre » s’expriment de prime abord par une notion de territoires, de contrées, de Pays. En l’occurrence pour moi ce sont les Terres d’Amor, & Argoat : une dualité complémentaire entres les côtes, les landes et forêts bretonnes avec le dynamisme des gens qui y vivent. Il y a aussi une notion de la terre nourricière qui fait germer les graines, mes violons se nourrissent également d’un terreau musical. J’ajoute à cela les différents pigments de couleurs de la terre qui peuvent être ocres, rouges ou noirs et blancs comme les notes. La terre possède aussi une fragilité mais qui à l’inverse est un élément de construction très solide ! (Une partie de la muraille de Chine a été construit avec de la terre et cela tient toujours depuis des siècles ! Chez moi en Haute Bretagne, de nombreuses maisons ont été édifiées et construites en bauge). C’est une équation à prendre en considération dans le sens ou l’artiste à travers sa musique et son instrument va pouvoir exprimer une fragilité relative tout en ayant une force dans son interprétation et son identité. Apres écoute de cet l’album libre à chacun d’avoir sa propre lecture de ce titre qui n’est pas juste éponyme.

Quand on a ton expérience du violon dans le domaine des musiques trad, folk, quelle est ta démarche de consacrer un album sur la relation entre le violon et la musique ancienne ?

Au début du revival folk des années 70, je me suis vite passionné pour ces musiques dites anciennes. Et cela en autre, grâce à de nombreux groupes et musiciens de l’époque qui enregistraient souvent dans leurs albums le plus souvent soit une suite de danses Renaissance, soit une chanson médiévale, ou une suite d’inspiration Baroque de O’Carolan  ou de J. Playford ; je pense tout particulièrement à Malicorne, Mélusine, René Werner, John Wright, par exemple pour ne citer que les plus connus. Le violon est sans aucun doute l’instrument le mieux introduit dans nos traditions musicales occidentales. On le retrouve partout et depuis la Renaissance, l'occident a fait du violon le roi des instruments ! Il joue dans tous les coins, il fait vivre toutes les musiques, il soulève les passions et exprime dans sa langue toutes les émotions. Ses lointains ancêtres abondés depuis le Moyen- âge, à l’instar de la vièle à archet qui était à l’époque la meilleure compagne du musicien : « Elle chante, danse, accompagne et joue en polyphonie ». En Bretagne, les témoignages sur son usage populaire remontent à la fin du 17ème siècle. En amont également, de nombreux récits dès le moyen âge, relatent des joueurs Bretons de rebec ou de crwth dont les talents étaient connus et reconnus dans de nombreuses Cours d’Europe. L’idée première de cet opus est indubitablement un voyage musical sur plus de dix siècles autour d’un instrument bien ancré dans l’imaginaire populaire. Des violons primitifs aux violons anciens puis modernes, ce sont des archéologies que je raconte en musique à travers un répertoire éclectique allant du Moyen-âge, à la Renaissance, au Baroque et plus singulièrement aux emprunts (voir aux embruns !) des musiques traditionnelles d’Irlande, d’Ecosse et de Bretagne. J’ai eu la volonté première d’ancrer ces chroniques mélodieuses le plus possible dans l’histoire et ses traditions mais aussi par le jeu et à la manière des ménestriers et autres violoneux. Entre musiques savantes et populaires les influences sont multiples.

Comment as tu travaillé pour choisir le répertoire, ainsi que les musiciens qui font partie de l’aventure ?

C’est un travail de bénédictin en amont, des lectures, des recherches, des écoutes pour constituer un répertoire assez vaste mais précis qui rentrait bien dans mon cahier des charges initial. Deuxième phase, opérer une première sélection d’une trentaine de titres, puis trancher sans regretter ses choix, et là pas facile ! J’ai ensuite travaillé chaque morceau techniquement en me les appropriant avant de songer à les arranger. Arrivent alors les doutes, les interrogations bousculés par les divers avis de l’extérieur. Et cela peut te plomber ton projet très vite, le moral en prend un coup ! C’est bien une des rares fois que j’ai écouté les recommandations de chacun de mes amis musiciens sans trop être influencé pour m’écarter de mes idées premières ; à l’inverse d’un travail collégiale de groupe. (Savoir dire « Non » c’est aussi une façon de se protéger et d’afficher ses choix). En revanche, les artistes qui m’accompagnent ont tous suivi mes avis et conseils tout en les confortant. Pour les deux volets, musique du moyen-âge et période Baroque Ecossaise et Irlandaise, je soulignerai particulièrement l’aide précieuse de Dimitri Boeckhoorn, harpiste hors pair mais aussi spécialiste des musiques anciennes celtiques. Son travail avec son trio « Toss the Father » est remarquable. Nous avons la même appréhension et vision des choses, de ce fait nous nous sommes très vite accordés vers les mêmes directions pour l’interprétation, les tempi, les ornementations, les accents, les styles,  etc. Les autres musiciens se sont imposés à mes yeux très naturellement pour chaque morceau du CD, j’avais en tête l’orchestration avec l’instrumentiste idéal ; fruit d’amitiés (depuis plus de 40 ans comme avec Catherine Perrier) en premier lieu, outre leur immense talent respectif. Je leur adresse encore à tous un immense merci pour m’avoir apporter le meilleur d’eux même.

Est-ce que tu a choisis les différents titres à partir de documents existants par écrit ?

Je ne suis ni chercheur, ni musicologue, ni grand spécialiste des musiques anciennes, je n’ai donc pas passer du temps aux archives ou en bibliothèques. Je m’appuie sur des recherches déjà effectuées et éditées par des gens compétents et de renoms dans ce domaine et je m’appuie pareillement sur mes divers collectages auprès des derniers violoneux du Pays Gallo. J’apporte alors aux musiques anciennes mon acuité pour trouver une interprétation, ainsi qu’une fibre esthétique afin de rester assez proche d’une réalité historique, et tout en affirmant une conception artistique personnelle.

Comment avez vous travaillé pour l’enregistrement ?

D’abord j’ai été guidé par une volonté de prendre mon temps qui n’est pas perdre son temps au bout du compte ! Je suis parti du principe que ce qui doit marquer et rester durable doit être vécu. Pour le studio c’était impossible d’imager les prises sans mon ami Laurent Dayhot (l’ingénieur du son du studio des sports). Le disque a été en grande partie conçu par ses soins, avec une grand part d’artistique et de technique évidement. Il a été toujours force de propositions, mais aussi réalisateur producteur, me faisant recommencer les prises toujours dans un esprit de confiance. L’aspect humain était omni présent, pas de sensation d’aller pointer ! J’ai établi une trame d’enregistrement en fonction de la configuration des morceaux. J’ai joué certaines de mes parties violon le plus souvent en en solo avant l’ajout d’autres instruments parfois en duo surtout avec Dimitri. Avec Catherine j’ai pris le parti d’un enregistrement très « live » en oubliant presque le côté technique de la prise de son afin de préserver le petit moment d’osmose et de spontanéité. Au final des séances très empiriques dans la manière ! En fonction des emplois du temps chargés de chacun des invités il a fallu aussi jongler avec les plannings. Cette contrainte m’a obligé d’être patient et repenser quelques fois à un nouvel arrangement. Ce fut la principale difficulté à gérer mais du plaisir partagé à chaque séance d’enregistrement !

N’est ce pas un peu risqué aujourd’hui  de produire un album sur ce type de musique ?

Le pari est fortement risqué voir osé de produire un tel CD aujourd’huiJ) Un Ovni de CD puisque mon distributeur Flavien Pierson de UVM place le disque indifféremment dans les rayons de musiques classiques anciennes et vers d’autres réseaux dans les rayons de musique traditionnels. Un dilemme et casse tête pour les vendeurs des Fnac! Ce genre de production n’est pas vraiment dans l’air du temps, loin   des tendances et esthétiques musicales des jeunes et talentueux musiciens des musiques traditionnelles ! Mais c’est un choix que j’assume. Mon propos musical du moment n’a pas été toujours le même tout au long de ma carrière, comme bien d’autres je me suis frotté et essayé aux mariages des musiques traditionnelles avec les musiques actuelles, jazz, rock, etc. (Des bonheurs à la clef mais avouons aussi des déceptions). Autre difficulté, je suis un musicien traditionnel pas un musicien de musiques anciennes ; je n’ai peut être pas les bagages techniques suffisant pour aborder ce genre musical mais je présente une autre approche, d’autres pistes à travers ces transversalités et la modalité. Mon regretté ami John Wright avait cette même démarche. (Cet album est aussi un hommage que je lui dédis).

Est-ce que cet album marque un tournant dans ta carrière de musicien et d’artiste ?

Chaque album est une sorte de photo audio d’un moment de ta vie musicale. Lorsque je donne un coup d’œil dans le rétroviseur, je ne regrette rien, même des enregistrements étranges et pas trop aboutis. Certes, c’est difficile de se louper mais pour moi le pire serait de n’avoir jamais tenté de réussir. Donc dans ma vie de musicien je dirais que certaines réussites sont des échecs qui ont raté. Mon nouveau CD est une nouvelle orientation musicale que j’aimerai présenter à un large public qui ne vient pas nécessairement des musiques trad. Nous sommes déjà trop catalogués et confinés dans nos environnements de musique trad, ouvrons nous vers d’autres oreilles mélomanes. Aujourd’hui j’ai l’envie d'échafauder ces parallèles et ces cousinages à travers la modalité des musiques anciennes vers les musiques traditionnelles Cette curiosité me pousse indubitablement vers de nouveaux chemins de traverses à explorer. C'est une histoire émoustillante et nouvelle qui me projette sur une positivité  ambiante !

Quel regard portes tu aujourd’hui sur les musiques trad en France et sur le métier de musicien ?

Un regard tout simplement bienveillant et parfois admiratif sur les divers propositions artistiques à ce jour. Beaucoup de jeunes d’artistes fourmillent d’idées novatrices et sont très forts techniquement. Pour certains, ils viennent aujourd’hui de formation classique, musique actuelle ou jazz, à l’inverse de ma génération. Par contre mon sentiment serait que l’essence même des musiques traditionnelles a peut être disparu ; ils empruntent une voie ou l’on va privilégier la virtuosité et des arrangements alambiqués au détriment peut être de l’âme de cette musique trad. On demeure alors dans l’intention voire dans une représentation lointaine de la tradition, le son produit étant plus important que la façon de le produire. Cette tendance n’est pas à dénoncer puisque qu’aujourd’hui, nous sommes dans une représentation artistique avec de nouveaux codes. Les critères liés au style, à l’articulation, à l’expression, le dynamisme, le contrôle et le rythme restent fort subjectifs. On en vient directement à ces concepts de modalité qu’il faut à mon avis préserver. Actuellement, trop de musiciens orientent leurs arrangements, leurs façons de jouer, leurs compositions vers des musiques plus tonales pour des raisons de grille d’harmonie. (Un bourdon c’est très chiant pour le musicien qui tente de placer dessus un accord à la couleur Jazz du style sur 4 diminué ! Le challenge de la jeune génération, restera principalement l’assimilation, l’imprégnation à ces musiques traditionnelles et surtout le sens à donner. Côté inventivité je ne fais pas de soucis !

Est-ce ce disque aura une version pour la scène et avec quelle équipe ?

Tout a fait, une formule à géométrie variable autour d’un quatuor composé de Pierrick Lemou : crwth, rebec, vièle à archet, violon baroque, violon, Dimtri Boeckhoorn : Harpes médiévales et celtiques, Michaëlle Lemarié : Viole de Gambe, Soazig Hamelin : fiddle , chant. Auquel s’ajouteront selon les budgets et demandes ; Marc Anthony à la vielle à roue, Erwan Alix au luth, et un percussionniste. A noter tout particulièrement sur certains festivals, un invité de marque : Carlos Nunez qui actuellement travaille dans des directions musicales identiques.

Comment envisages tu ton avenir de musicien dans les années à venir ?

Et bien à vrai dire, difficile à se projeter dans une société de plus en plus basée sur l’individualisme et la consommation. On assiste d’une façon impuissante à la disparition de nos petites associations qui fleurissaient dans les années 70/80, et qui en compagnie d’une poignée de bénévoles organisaient des festivals, des concerts des fêtes avec une énergie débordante. Ces bénévoles ont vieilli aujourd’hui et peinent à trouver dans la jeune génération des volontaires pour perdurer et reprendre le flambeau d’un festival par exemple. Mais fort heureusement il y en a qui remuent ciel et terre pour faire bouger les choses différemment. De nombreux jeunes artistes musiciens se heurtent à des difficultés grandissantes de « booking ». Il n’y a pratiquement pas de lieux estampillés « musiques trad », juste quelques centres culturels incontournables que l’on compte sur les doigts de la main comme Amzer Nevez, Le Nouveau Pavillon, Le Chantier à Correns... Pour grand nombre c’est le Graal d’y être programmé ! Cette situation dégradée n’est pas le seul fait des contraintes budgétaires des structures. Elle est l’action des choix politiques opérés par les différents Ministres de la Culture et par les élus locaux. Les aides stagnantes et fragiles pour les scènes de diffusion et le désengagement massif des collectivités locales à l'égard des associations de musiques et danses a pour résultat cette situation actuelle. Je m’inquiète pour cette nouvelle génération pleine d’envies et de grandes prédispositions. Nous autres pionniers des musiques trad nous vivions parfois dans l’insouciance et nous n’avions pas les mêmes soucis pour travailler et chercher des contrats. Mon souhait serait de jouer mon nouveau spectacle d’abord en prenant beaucoup de plaisir sans trop de contraintes techniques de sonorisation afin de favoriser l’acoustique de ce genre d’ensemble. J’aimerai citer pour conclure une phrase qui m’interpelle toujours «  On ne vend pas la musique on la partage » Leonard Bernstein.

Contact : https://tvb.com.fr/

Distribution :https://www.uvmdistribution.com/musique-ancienne/5163-violons-de-terre-pierrick-lemou-label-traditions-vivantes-de-bretagne-ean-3760061282834-annee-edition-2018-genre-classique-forma-3760061282834.html