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Des mondes de musiques

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Pour une fête de la musique Sanson !

Etienne Bours

Nous sommes le 21 juin, jour de la fête de la musique qui, bien entendu, ne peut se dérouler dans les conditions habituelles.

Alors le ministère de la culture de la France, pays qui a créé cette fête, se fend d’un communiqué de presse où l’on peut lire, notamment, ceci :

 « Pour une fête de la musique différente, solidaire et numérique »

 

« Tous les musiciens de France, qu'ils soient amateurs ou professionnels, qu'ils jouent de la musique ancienne ou du jazz, du rock ou de la variété, sont invités à interpréter ou réinterpréter : Chanson sur ma drôle de vie de Véronique Sanson, le 21 juin au même moment, juste après 20h.

Chez soi, sur son balcon ou à sa fenêtre, dans son jardin ou dans sa cour, sur les réseaux sociaux, chacun pourra ainsi participer à la Fête de la Musique et contribuer à créer une grande fresque musicale sur tout le territoire ».

 

Waouaaww !!! Génial ! Quelle belle idée pour rassembler un peuple de moutons tous appelés à bêler en même temps, le même refrain, dans un bel élan de solidarité sur le chemin de l’abattoir. Entendons-nous, j’aime les moutons (brebis, béliers, agneaux) mais les vrais, sans pour autant oublier qu’ils sont, en première ligne, gardés par des chiens et des bergers mais, au-delà, maitrisés par la dictature de l’agro-alimentaire.

Depuis trois mois, les musiciens, chanteurs et autres intermittents du spectacle ont, pour bon nombre d’entre eux, réappris à bouffer de la vache enragée (pas toi Véronique, je suppose que tu as de quoi vivre, mais tu n’es pour rien, j’espère, dans ce choix ministériel). Ils n’ont rien devant eux, aucune perspective, aucune aide digne de ce nom, aucune considération, aucune politique engagée qui donnerait aux musiques un rôle citoyen actif et non ces quelques heures insipides de gargarisme people sur les mêmes chaînes avec les sempiternels mêmes « entonneurs » de rengaines.

Alors quoi ? Tout le monde va se mettre à chanter La drôle de vie parce que un(e) allumé(e) quelconque est amoureux de cette chanson dans les bureaux du ministère. Ou parce qu’un suiveur de Panurge (d’autres les appellent bisounours aujourd’hui, mais appelons un mouton un mouton) voit en cette chanson un message subliminal qui ne manquera pas de souder le bon peuple français dans un seul et même élan de solidarité avec tous ceux qui souffrent et, bien sûr, que dis-je surtout, avec tous ceux qui s’épuisent à soigner et si possible guérir – pour des clopinettes.

Il y a quelques années Renaud était lui aussi tombé dans le panneau et avait composé une de ses plus mauvaises chansons pour nous dire qu’il avait embrassé un flic. Depuis quelques semaines, on nous demande d’applaudir, voire de faire du tintamarre, pour le personnel soignant – et on le fait bien sûr puisqu’on nous dit qu’il faut le faire et on rengaine alors qu’il faudrait dégainer. Et quand ce même personnel descend dans la rue, quand il laisse déborder son trop plein de colère, d’épuisement, de ras-le-bol, de refus de faire partie d’un troupeau, on tourne la tête pour regarder ailleurs. Et ne surtout pas voir que les gardiens de la paix qui méritaient parfois nos salutations chaleureuses sont devenus définitivement des forces de l’ordre. On embrasse les flics, on applaudit les infirmiers…

Mais on est prié de fermer sa gueule, de courber l’échine et de chanter en chœur cette drôle de vie. Ah ! Pour être drôle elle est drôle et quand les chiens qui nous guident aboient, on obéit et on chante « Laisse les autres totems, tes drôles de poèmes et viens avec moi » - en d’autres termes suivons-tous le même texte, les mêmes principes, les mêmes idées. Jusqu’où allons-nous accepter cette mascarade ?

J’ai embrassé un policier,

J’ai applaudi un infirmier

J’ai salué le personnel hospitalier

J’ai enlacé un ambulancier

J’ai sucé un pompier

 

Faudra aussi embrasser les éboueurs

Saluer les transporteurs

Applaudir les caissières

Enlacer ceux de l’alimentaire

Du légumier à la bouchère

 

C’est fou ce que je me sens bien

D’avoir embrassé un policier

Qui éborgnait un citoyen

 

On donne des bises aux bénévoles

Aux généreux on fait la farandole

On tapote l’épaule des humanitaires

On fait l’éloge des solidaires

On rappelle médecins sans frontières

 

C’est fou ce que je me sens bien

D’avoir embrassé un policier

Qui verbalisait un confiné

 

Et ainsi de suite (j’en ai d’autres, Renaud tu veux la chanter ?), l’idée étant de saluer ceux qui triment. Tous ensemble. Et que la chanson, la musique, les applaudissements servent cette noble cause. Et qu’on ne dévie pas de cette ligne droite tracée par les ministères… sinon… le trajet qui va de la chanson au cabanon pourrait bien vitre être une autre ligne droite.
Et pourtant d’autres continuent à chanter ce qu’ils pensent. Notre cher Pierre Perret n’a perdu ni sa langue ni sa plume et, à 85 balais, nous balance encore une belle réflexion :

 

Il faut que les musiques que nous défendons descendent aussi dans la rue, ce qu’elles feront évidemment en ce 21 juin. Mais les expressions musicales de toutes les communautés seront de plus en plus menacées si chacun se met à obéir aux injonctions d’un ministère de la culture qui voudrait que chacun chante la même chanson, en même temps. Chantons nos différences, nos parlers, nos langues, nos rythmes, nos traditions, nos conceptions de la musique et de la chanson, partageons les, échangeons les – c’est dans la diversité que notre monde vaut le coup. Je l’ai déjà écrit mais tapons sur le clou. Il n’est guère besoin d’être biologiste pour défendre la biodiversité, il n’est guère besoin d’être ethnomusicologue pour défendre les musiques du monde, toutes les musiques du monde… Platon disait que pour contrôler un peuple il convient de contrôler d’abord sa musique

 

 

Vladimir Vissotsky le savait bien évidemment et il chanta L’écho fusillé pour nous mettre en garde : même l’écho des plaintes et des cris des hommes sera fusillé !

 

Le chanteur québécois Yves Desrosiers a interprété nombre de chansons de Vissotsky dont une belle version de L’écho fusillé.