Aller au contenu
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies notamment pour réaliser des statistiques de visites afin d’optimiser la fonctionnalité du site.
Des mondes de musiques

 En lisant avec gourmandise les articles de 5planètes.com, vous pouvez écouter Canal Breizh, en cliquant sur le logo.

 

 

 

 

 

 

 

Qui vous a dit que la victoire était bonne ?

Ouverture : clara-luciani-photo-stephane-jonathan

Etienne Bours

« Qui vous a dit que la victoire était bonne ?

Moi je prétends que l'échec n'est pas moins bon,

que les batailles se perdent comme elles se gagnent, du même cœur.

(...)

Bravo à ceux qui ont échoué !

A ceux dont les vaisseaux ont sombré dans la mer !

A ceux qui, dans la mer, se sont-eux-mêmes noyés !

Aux généraux victimes des combats, à tous les héros défaits !

A toute l'innombrable foule des héros inconnus égaux des plus connus dans la gloire ! »

Cet extrait d’un poème du grand poète américain Walt Whitman ne me quitte jamais (Song of myself/Chanson de moi-même in Leaves of grass/Feuilles d’herbes).

Walt Whitman  

Et ce ne sont pas les récentes Victoires de la musique qui me feront oublier ce grand poème. Comment donc peut-on concevoir une telle aberration : victoires de la musique ? C’est donc un combat ? Car le mot victoire vient bien du latin « vincere » : vaincre. Un mot qu’on utilise lorsque l’on gagne une guerre, une bataille. Ou, éventuellement, un concours, une joute, une compétition… C’est donc de cela qu’il s’agirait. A défaut d’être en guerre, les artistes musicaux sont en compétition. Ils seraient là pour se mesurer et l’emporter sur les autres. C’est en tout cas ce que ce foutu marché de la musique et des médias a instauré, copiant en cela les stéréotypes de notre bonne société libérale et les idéaux de nos dirigeants, président français en tête, qui louent la méritocratie. Allez donc jeunes et vieux chanteurs ou musiciens, donnez-vous du mal : il faut battre les autres, il faut vaincre.

Stromae

On me dira, à juste titre, que Stromae ne visait pas plus cette victoire que Dylan ne le fit pour obtenir un prix Nobel. Certes mais je retiens quand même que le Zim ne s’est pas déplacé pour aller quérir son prix. Attitude dylanesque qui peut sembler facile mais qui n’est pas suivie par ceux qui s’encourent pour participer aux cérémonies dégoulinantes du bling bling musical. Et, de toute façon, ils n’évoluent pas dans le même univers. Entendons-nous bien, je ne suis pas contre l’idée de remettre des honneurs, awards, coups de cœur et prix éventuels à des artistes qui font preuve de talent. Mais il y a la manière, le contexte, le titre (Victoires ne me plaît vraiment pas) et les critères de sélection. Les Anglais, les Irlandais, les Ecossais, les Canadiens, les Américains… ont des Folk Music Awards ; question de compenser les lacunes du business centré sur ce qui se vend, se voit et s’entend le plus sur les grands media et les réseaux sociaux. En France comme en Belgique, on ne glorifie que ce qui se vend et se produit massivement…

C’est marrant d’ailleurs parce que ce coup de gueule m’est venu un peu avant la dite cérémonie. Tout simplement en réentendant, sans l’avoir cherché, Don’t think twice, it’s all right, superbe chanson du même Dylan. Superbe par son écriture sur une désillusion amoureuse (fin de son aventure avec Suze Rotolo selon certains), superbe par son jeu de guitare, sa voix et son harmonica. Superbe par son style : du Dylan pur jus des premières années. Simple, efficace, sans fioritures inutiles, sans clichés. C’est le début d’une époque folk qui trouve un écho auprès d’un public plus large via les disques et les concerts. Et le Bob s’impose avec un talent que je résume en un mot : simplicité. Et ceci n’a rien à voir avec l’éventuelle complexité de son écriture, je parle de cette façon de chanter, de concevoir la chanson comme un vecteur d’expression personnalisée – exactement comme peuvent le revendiquer certains chanteurs qui s’en vont remporter des victoires de la musique sans doute. Excepté que cet élan naturel n’est plus de mise. Qui va gagner ce type de « concours » avec une guitare, un harmonica, une voix de fumeur et des textes d’une grande originalité poétique ? Personne, je le crains fort. Même s’il arrive, heureusement quand même, que des artistes de la trempe d’Orelsan ou de Feu Chatterton emportent un bout de ces mérites.

En tout cas, fort de ces quelques réflexions inspirées par le sieur Dylan dans ce qu’il nous donna de mieux, je me suis rendu compte que cette simplicité, ce naturel évident de ceux qui chantent avec leurs tripes sans avoir le moindre besoin d’en rajouter, est et reste une qualité de beaucoup d’artistes de ce qu’on appelle folk ou encore musiques du monde. Ces gens qui peuvent facilement se passer de déguisements, de postures, de mises en scène, de poses souvent grotesques pour se concentrer sur ce qu’ils ont à nous chanter. Certes Dylan s’est quand même inventé un sacré personnage dès le début sans pour autant tomber dans le genre de caricatures que l’on voit trop aujourd’hui… mais beaucoup d’autres sont arrivés tels qu’ils sont sur les scènes musicales.

Je repense évidemment toujours à Woody Guthrie et à ses divers comparses (de Jack Elliott à Phil Ochs en passant par ce cher Pete Seeger) mais plus près de nous, beaucoup plus près, cet esprit est loin d’être mort. Une artiste qui illustre parfaitement cela est l’Irlandaise Lisa O’Neill. Écoutez-la, voyez-la, chanter a capella ou avec un banjo, une guitare, un ou deux comparses discrets, au profit d’un répertoire qui vous rentre dedans autant que vous lui rentrez dedans.

A l’écouter, on pense immédiatement aux grandes voix des travellers irlandais, Margaret Barry en tête. Lisa O’Neill ose être ce qu’elle est ; elle nous convie à partager des chansons qui n’ont aucun besoin d’être trop habillées. Leur quasi-nudité rappelle la sauvagerie de certains paysages ou la dureté de certaines causes. Écoutez sa version de Factory girl, son Rock the machine. Écoutez ses divers albums tout simplement.

Dans la foulée, j’ai réécouté Mary Gauthier et sa chanson Last of the hobo kings, les hoboes étant une source d’inspiration énorme d’une certaine chanson américaine, celle-là même dont je parle en citant Dylan et Guthrie. Et je retrouve un style qui va droit au but. Et voilà que j’enchaîne avec le double CD enregistré lors du concert donné au Queen Elizabeth Hall de Londres pour les soixante-dix ans de Peggy Seeger.

La chanteuse y était entourée d’artistes qui sont aux antipodes des cérémonies du type Victoires de la musique : Pete et Mike Seeger, Billy Bragg, Martin et Eliza Carthy, Calum, Kitty et Neil MacColl, Norma Waterson, Irene Pyper-Scott, Graham Henderson, James McNally… Pas la peine de chasser le naturel pour qu’il revienne au galop, il est là, au trot, tranquille, évident. Et je viens de vous citer trois chanteuses. Pas si machos que ça les gars de 5planètes ! Oui mais vous ne citez que des Anglo-Saxons me diront les grognons. Du tout ! Prenez n’importe quel disque du label AEPEM, le DuoArtense par exemple : violon, chant et accordéon pour des musiques d’Auvergne et du Limousin. Vous imaginez ça aux Victoires ? J’en rêve !

Alors, basta des discours soi-disant branchés, des émissions et des cérémonies people-isées, ras-le-bol des modes, des tendances, des millions de vue sur le net, des « influensuceurs », des faiseurs de vedettes…

Un peu de simplicité s’il vous plaît ! La source est souvent bien plus claire que les remous de l’océan, aussi beau soit celui-ci…