Aller au contenu
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies notamment pour réaliser des statistiques de visites afin d’optimiser la fonctionnalité du site.
Des mondes de musiques

 En lisant avec gourmandise les articles de 5planètes.com, vous pouvez écouter Canal Breizh, en cliquant sur le logo.

 

 

 

 

 

 

 

TRANSMISSION ?

Etienne Bours

Transmettre, du latin transmittere : faire passer d’un côté à l’autre, léguer, remettre, confier…

 

Il m’arrive de penser à ce que nous faisons là. Cette volonté, ce besoin d’écrire et de faire passer nos réflexions, nos passions, nos coups de cœur et coups de gueule dans ce domaine qui nous occupe et qui est celui des musiques dont nous essayons justement de comprendre la pertinence actuelle.

Et mon foutu cerveau nomadise ; il bouge ce con : retours en arrière, visites du présent en longitude et latitude, projections en avant... Et ça bute, à un moment donné, sur cette fameuse notion de transmission. Qu'a-t-on fait, que fait-on, que va-t-on faire avec ce qu'on a fait et pas fait ? Transmettre ? Quelle prétention - de "prétendre", tendre vers mais aussi revendiquer ou encore de prétendre au point d'être prétentieux... Alors, comme ça, nous voudrions transmettre et, quelque part, nous y tenons. Nous avons, dans ce secteur dans lequel nous avons travaillé ou travaillons encore, la prétention, le besoin, l'envie, la nécessité, la soif... de transmettre. Quoi? Pourquoi? Comment? A qui ?

J'ai pourtant souvent l'impression d'entendre, comme un souffle porté par les vents qui courent sur notre univers : "circulez, y a rien à transmettre, laissez faire ceux qui savent...". Et puis: "circulez les vieux radoteurs, vous avez eu assez, on est passé à autre chose, et puis on n'a plus les moyens, le monde a changé...".

Alors, ce matin, j'ai visionné un film sur le net. Il est consacré à Nils-Aslak Valkeappää, chanteur , activiste, poète, dessinateur, penseur... Same (Lapon dit-on erronément chez nous) décédé trop tôt, en 2001 (lien ci-dessous). Ailohas, c'est son surnom, était un type extraordinaire, un transmetteur certainement, un homme rare, un lien entre les humains et la nature. Je suis allé chez lui, là tout au nord, dans les années 90, dans cette petite maison en pleine nature que l’on voit dans le film. Il m'a appris énormément, il m'a fait comprendre, il m'a montré des choses essentielles. Son regard et sa voix sont à jamais dans ma mémoire. Grâce à lui, j'ai organisé une tournée d'un autre chanteur Same (Ingor Ante Ailu Gaup, un de ses proches amis) avec les Jeunesses Musicales. Et après avoir revu ce film, je me suis rendu compte que j'ai toujours eu envie de transmettre ce que ce genre de rencontre m'a apporté. IMPOSSIBLE!! Evidemment ! d'une certaine manière en tout cas.

Et c'est là que vient la question: qu'est ce que transmettre?

Transmettre des émotions ? Je ne pense pas : chacun les siennes. Nous en avons certainement fait naître chez d'autres en programmant des concerts, en passant des musiques en radio, en en parlant, mais pas ou peu les mêmes que les nôtres. Sinon par hasard, par chance, par coïncidence... Quand j'étais fasciné par les chants de gorge inuit, je les faisais écouter à tout le monde (emmerdeur !!) et je dis toujours que celui qui fut le plus fasciné, le plus ému, était le chien d'un ami - lui seul écoutait attentivement en inclinant la tête devant les enceintes pendant que les amis regardaient leur montre.

Transmettre des connaissances? Non, ce n'est pas un boulot de professeur que nous faisons.

Transmettre c'est peut-être essayer de susciter une prise de conscience, me disait ma compagne. Ah nom d'un chien (encore lui) c'est peut-être bien ça en effet.

Là-dessus, je plonge mon nez dans un livre de Laborit (L'éloge de la fuite) et je lis ceci: "La vraie richesse qu'il (l'homme) pourrait produire, c'est avant tout la connaissance. Pas simplement la connaissance scientifique ou "culturelle" (les guillemets sont de lui) mais la connaissance de lui-même et des autres qui pourrait le conduire à inventer de nouveaux rapports sociaux". Ne serait-ce pas un peu cela la prise de conscience qu'on tente maladroitement d'éveiller, de susciter, chez d'autres quand on veut, à tout prix, transmettre ? Non pas l'idée de dire: "écoutez tout ce que je connais, tout ce que j'ai appris", mais plutôt dire: "écoutez ça, regardez ça, lisez ça, réfléchissez à ça; il doit y avoir quelque chose à en tirer...". Transmettre serait alors "produire" (comment aimer encore ce mot ?) au sens de "permettre d'inventer" une réflexion sur nos rapports avec les autres, notamment.

C'est une esquisse de réflexion sur le sens de la transmission - il faudrait aller plus loin.

En tout cas il me semble que ce que beaucoup d’entre nous, les scribouillards et autres communicateurs en musique, faisons, c’est se placer en intermédiaires entre ces musiciens et expressions musicales diverses et tous ceux qui ont le droit et l’envie de les approcher aussi. Il est évident qu’un homme comme Nils-Aslak Valkeapää était un vrai transmetteur, celui qui s’est rendu compte qu’il était dépositaire d’une tradition et qu’il pouvait sans doute se permettre de la transmettre à sa manière aux jeunes de son peuple puis au reste du monde. Il transmettait en réfléchissant, en prenant des risques, en bousculant, en avançant, en connectant les uns aux autres. La chance que nous avons de rencontrer de tels personnages nous pousse bien souvent à tout simplement vouloir partager en nous plaçant dans une sorte de second rang de la transmission.

N’est-ce pas ce que nous essayons de faire sur un site comme 5planètes ?

 

Voici le lien pour regarder ce film sur Nils-Aslak Valkeappää: 

Des sous-titres en anglais permettent de suivre les divers propos.

Ceux qui regarderont ce portrait y verront apparaître, brièvement, Buffy Sainte-Marie et des artistes d’autres populations, Inuit du Groenland notamment. Ailohas n’avait de cesse de créer des liens entre artistes des natifs de la terre. J'ai eu la chance de le rencontrer deux fois. Chez lui, à des kilomètres de toute habitation en plein coeur de la Laponie. Puis en 2000 durant les fêtes de Pâques des Sames à Kautokeino. Il avait eu un grave accident et avait perdu une grande partie de sa mémoire. Il était prêt à mourir, disait-il, ce qu'il fit en novembre 2001 (il n'avait pas 60 ans).