
Baul meets saz
Namaz
Etienne Bours
Il y a quinze ans, voire vingt ans, plusieurs labels consacrèrent un CD aux chants Bauls du Bengale.
La discographie, mine de rien (c’est qu’on oublierait, avec le temps), est imposante : Buda, CramWorld, Daqui, Riverboat, Ethnomad, Fonti Musicali, Iris… et bien avant cela, la collection de l’Unesco (en compact sur Auvidis), la collection Explorer Series de Nonesuch ou encore Le Chant du Monde nous avaient fait découvrir cette tradition étonnante. Et j’en passe ou j’en oublie certainement dans ce tour d’horizon fait à la va-vite.
Baul est un mot dérivé du sanscrit qui signifie fou. Les Bauls du Bengale sont les fous de Dieu, musiciens mystiques, itinérants et libres. Ils ne sont ni musulmans ni hindouistes, ils préfèrent une religion libre et naturelle, sans faste, sans cérémonies, sans obligations qui les détourneraient de l’énergie première, corporelle et spirituelle qui les guide. Ce courant mystique opposé à tout dogmatisme existe depuis plusieurs siècles et apparaît comme une philosophie synthétisant des traditions bouddhistes, soufies, tantriques, vishnouites, ainsi que le courant sahajiya, courant philosophique à l’origine du bouddhisme. Les Bauls chantent et dansent. Ils accordent beaucoup d’importance au corps, siège de l’épanouissement du divin, ils aiment le parer et le laisser s’exprimer. Les chants sont souvent des textes poétiques composés depuis le XVIIe siècle.
Emre Gultekin, musicien et chanteur turc basé à Bruxelles promène volontiers son saz en d’autres terres. Il a rencontré Malabika Brahma et Sanjay Khyapa au Bengale et les trois ont senti d’évidentes connections entre la musique d’Anatolie, celle des bardes ashik, et les chants Bauls. Une vie de nomadisme, une prédilection pour une poésie riche en métaphores et l’importance accordée à l’humanité et à l’amour les unissaient par delà frontières et différences. Emre leur a vite prêté son jeu tout en finesse et Malabika peut y lâcher sa voix lumineuse tandis que Sanjay joue d’un minuscule tambour sur cadre (dubki), avec une dextérité à faire pâlir nos percussionnistes entourés de mille objets sonores. Et ça fonctionne, tant sur disque qu’en concert, parce que le partage se fait naturellement. On n’est pas dans une simple rencontre entre musiciens qui désirent tenter quelque chose, histoire d’ajouter une expérience à leur pedigree ; on est dans un vrai dialogue. Dans l’écoute, dans le respect, dans une spiritualité évidente. Et quand Emre Gultekin chante à son tour sur une musique composée par son père, rien ne semble étrange parce que la piste est tracée d’un chant à l’autre. Comme si ces trois musiciens et chanteurs avaient bourlingué ensemble depuis des décennies. Pour avoir écouté et vu plusieurs concerts de musiciens Bauls dans les années 90 et début 2000, je me dois d’affirmer que ce trio est une véritable surprise qui arrive à une alliance parfaite entre musicalité et sérénité. Le disques est émaillé de la participation de quelques autres musiciens (sarod, oud, duduk, percussion et même saxophone) mais aucun ne vient briser l’harmonie des autres. Ajoutons à cela que Seyir Muzik est un label récent créé en Belgique et dédié aux musiques orientales et vous en concluerez que l’on continue à faire et à produire de la bonne musique en ce monde.
Seyir Muzik www.seyirmuzik.com