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Des mondes de musiques

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Henri Lecomte

Il ne pouvait être que Breton !

Etienne Bours

Il est né en 1938 à Lambézellec dans le Finistère. Il vivait certes à Paris depuis longtemps mais Henri Lecomte était un être libre, indépendant, citoyen du monde des autochtones. Il avait encore bien souvent l’esprit dans les embruns d’une Bretagne qu’il aimait évoquer mais il avait roulé sa bosse à travers le monde, d’Afrique en Asie, de Sibérie en Amérique latine.

Nous nous sommes rencontrés parce que nous partagions une passion pour les musiques des peuples de l’Arctique. À cette époque, début des années 90, Henri écrivait encore pour Trad Mag dont il était un peu monsieur « musiques du monde ». Mais l’homme n’a jamais aimé les routines ni les contraintes imposées par d’autres. Il m’a confié, un jour, qu’il n’avait sans doute jamais gardé un boulot ou une compagne plus de quelques mois. Farouchement libre, entier mais intègre, seul mais sociable – fallait pas le faire chier ! Mais il était très attachant et donnait son amitié à ceux qui l’approchaient d’égal à égal. Il a donc quitté Trad Mag comme il quittait d’autres choses, question d’aller voir plus loin. Il m’a laissé sa place et, comme d’autres après moi, j’ai essayé de suivre ses traces. Impossible ! Il allait vite sans se hâter, il changeait de direction, il apprenait le monde et ses musiques depuis bien plus longtemps que nous et en avait beaucoup à nous apprendre à notre tour. Ce qu’il n’a jamais négligé de faire avec moi, partageant son savoir, sa documentation, ses passions, ses doutes, ses méfiances, sa cuisine, son whisky, voire même un bon joint ici et là. J’aimais passer par son petit appartement tapissé de livres et de disques et le laisser m’entraîner si loin des toits de Paris. Depuis Ali farka Touré qu’il avait filmé au Mali, jusque ses récits de voyages dans la toundra et la taïga sibériennes qu’il connaissait bien, en passant par ses coups de cœur sur la route de la soie, au Mexique, ou en Algérie à Mostaganem où il avait enregistré les rituels Gnawa. Puis il me parlait de jazz, il s’allumait en évoquant Billie Holiday, il saluait volontiers Jimi Hendrix, le seul musicien rock qu’il appréciait. Il parlait littérature, citait Nicolas Bouvier ou Cheikh Anta Diop. Il esquissait un pas de danse, laissait fuser un horrible jeu de mot puis ajoutait un commentaire cynique avec un humour pince-sans-rire et un flegme plus grand breton que breton.

Henri Lecomte -Demonstration d'instruments , années 1970, Ris Orangis.

On ne résume pas un tel personnage. Les mots n’existent pas qui diront à quel point il était multiple et unique en même temps. On ne va pas jouer à Wikipedia non plus. Il était ethnomusicologue du type indiscipliné, il était chercheur du type acharné, il était professeur du type passionné. Il a donné des cours, présenté d’excellentes émissions de radio avec son comparse François Picard sur France Musique, il a écrit et publié des articles, des interviews, des livres… il a été conseiller artistique sur des concerts, expositions, films, cycles… il a produit plusieurs films. Il a aidé à la production de disques de musiques du monde venant d’horizons divers et ce avec de nombreux labels tels que Accords Croisés, Iris, Fonti Musicali, Frémeaux & Associés et bien sûr Buda Musique.

Pour ce label surtout, mais pour quelques autres également, il a produit des CD avec ses propres collectages – on retiendra particulièrement sa série consacrée aux petits peuples de l’Arctique Sibérien, onze CD chez Buda, un must absolu qu’il compléta avec son livre « Les esprits écoutent. Musiques des peuples autochtones de Sibérie » paru aux éditions Delatour en 2012.

Il ne faudrait pas oublier un autre ouvrage majeur paru chez fayard en 2006 : « Musiques de toutes les Afriques » co-écrit avec Gérald Arnaud.

Il avait également une vraie passion pour les instruments de musique dont il rassembla une magnifique collection glanée aux quatre coins de la planète.

Il était proche des Ateliers d’ethnomusicologie de Genève et collaborait aux Cahiers de musiques traditionnelles, il prenait volontiers la parole lors de colloques et donnait aussi des conférences.

En d’autres termes, il aurait fallu être sourd et aveugle pour ne pas le rencontrer en chair et en os ou, au moins, via l’un de ses écrits, films ou disques, dès lors qu’on prétendait s’intéresser aux musiques traditionnelles ou aux musiques dites du monde.

Ajoutons à cela que notre homme était musicien. S’il se consacrait volontiers au jeu du shakuhachi, appris avec un maître japonais, il avait aussi tâté de la guitare et de la contrebasse dans une autre vie, celle où il se frottait volontiers au jazz.

Mais Henri nous a quitté ce 21 juin 2018, laissant derrière lui de nombreux amis déboussolés, comme si nous perdions ce Nord qu’il aimait tant nous faire découvrir.

So long Henri, tu nous manques déjà.

Attentif à tout ce qui se passait sur le terrain, Henri Lecomte a appris à s’y rendre lui-même, l’enregistreur en bandoulière. Mais il a d’abord découvert comment s’y prenaient ses illustres aînés. Parmi lesquels Alan Lomax ne fut pas des moindres. D’autant que non content de mener de longues campagnes d’enregistrements aux Etats-Unis et dans les Caraïbes mais aussi en de nombreux pays européens, Lomax théorisait sur la question des musiques traditionnelles et n’était jamais avare de commentaires écrits ou parlés. Rien d’étonnant dès lors à ce que Henri Lecomte s’en aille rencontrer ce globe trotter pour lui poser quelques questions. Nous n’avons jamais oublié l’interview qui fut publié pour la première fois en 1990 dans Trad Mag. CLIC POUR L'INTERVIEW