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Des mondes de musiques

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Les banjos de Youra

Dominique Maroutian

Photo ouverture : Youra Marcus à l'Anniversaire du Folk Club le Bourdon à Paris en 1990 . Photo Dominique Lemaire

Youra Marcus, disparu en décembre 2020, a eu de nombreux banjos. J’ai eu le projet de récupérer l’un d’eux (après une souscription en ligne) de l’exposer dans un musée avec une notice bio sur Youra. L’instrument aurait pu être utilisé régulièrement dans des concerts « in situ ». Las, la tâche s’est avérée difficile. Il a été impossible de retrouver l’un de ses trois derniers instruments. Deux d’entre eux sont en de bonnes mains mais le troisième est demeuré introuvable. Ajoutons à cela que plusieurs amis de Youra ont affirmé qu’il n’aurait pas aimé finir dans un musée, question de point de vue.

Pour rendre hommage comme il se doit à notre ami disparu voici donc un petit aperçu des banjos qu’il a possédés.

Framus Long Neck : Extrait d’une interview donnée à « Cinq Planètes »
« Ton premier banjo ?
C’était un Framus long neck 
Un long neck car c’était comme celui de Pete Seeger. Même si je n’étais pas un fan de Seeger, ce genre de banjo, ça avait vraiment de la gueule.
»

Le Framus , long neck ou pas, c’était le seul banjo cinq cordes qu’on pouvait trouver facilement en France à la fin des années soixante. Construit comme un tank, le long neck était d’une solidité à toute épreuve. Le manche en lamellé collé était armé d’une tige métallique. Le système de tension de la « peau plastique » était constitué d’un cercle métallique assez lourd ou venaient s’encastrer les clefs de tension. Pour ajouter encore au poids, déjà important , de l’instrument il y avait un « tone ring qui faisait une sorte de bosse sur la peau, le genre qu’on appelle « arch top ». Comme si ça ne suffisait pas le « tail piece » où s’attachaient les cordes était un gros truc métallique assez laid. Ça sonnait bien métallique mais surtout, c’était lourd, très lourd même en ôtant le résonateur situé à l’arrière de l’instrument. Un long neck est accordé en mi soit  un ton et demi en dessous de l’accordage classique de sol. Plus commode pour accompagner le chant, ses trois cases supplémentaires obligent à allonger son bras gauche (pour les droitiers) avec les conséquences articulaires et tendineuses qu’on devine. Mais ne soyons pas injustes, avec ça on avait le pied à l’étrier et on était sûr de vouloir s’en acheter un mieux … un jour.                    

 

« Après j’ai trouvé un banjo Harmony, en bakélite ».

La firme Harmony a vraisemblablement été la première à utiliser une matière synthétique pour fabriquer la caisse de ses banjos. Avec la vogue montante du folk aux USA la maison Harmony a orienté sa production vers des banjos cinq cordes et des « long neck ». Harmony a également produit des guitares. On peut en entendre une sur les disques de Mance Lipscomb superbe bluesman.

Youra trouvait que son banjo en bakélite sonnait comme une casserole, c’est pourquoi il s’est orienté vers les banjos anglais.
La boutique d’ Alain Vian était située rue Grégoire de Tours à St Germain. Alain Vian était spécialisé dans les orgues diverses et variées mais dans le capharnaüm de sa boutique on trouvait parfois des banjos… anglais.

La production de banjos en Angleterre a été abondante de la fin du XIX jusqu’après la seconde guerre mondiale. Il y a eu pas mal de fabricants. Les principaux ont été Clifford Essex (qui existe encore aujourd’hui) et Windsor (disparu en 1940). Le banjo dont parle Youra était vraisemblablement un Windsor. Le gros avantage de ces banjos c’est la largeur plus importante du manche, ce qu’appréciait Youra. L’inconvénient c’est que leur peau naturelle réagit très défavorablement à l’humidité et que leurs mécaniques à friction rendent l’accordage plus délicat. On en trouve régulièrement sur Ebay (UK) et sur les sites anglais de ventes aux enchères comme « The Saleroom ».  Mais les défauts sont facilement contournés en changeant les mécaniques et éventuellement la peau animale.
Autre particularité de certains banjos Windsor , le manche creux !! Vraisemblablement pour accroître la résonance.

Youra Marcus et son "Windsor"

 

Deux banjos Windsor

                                   

Manche creux                    

                                                 

Logo Windsor

Quand Youra est revenu en France pour un séjour de quelques semaines, il avait apporté l’un de ses banjos anglais, plus facile à transporter que son banjo de prédilection : Un Clifford Essex Paragon.

Voici le récit de Youra :

« Je rencontre  en 70, mon Clifford Essex. Je l’ai trouvé par hasard dans un magasin de guitares électriques. Son prix : 30 livres. C’était une belle somme à l’époque. Il était là, à Londres, dans une vitrine, la peau éclatée… Je n’y connaissais rien. Je ne savais pas ce que c’était comme marque. Il y avait juste écrit « Paragon » sur le haut du manche. »

Même à 30 livres en 1970, c’était une affaire. Après bien des avatars dus au travail de luthiers approximatifs Youra relate l’aventure :
« Je passe par Londres et je vais voir le magasin historique de Clifford Essex. Il ne produisait plus de banjo depuis la guerre, mais peut être pouvait il me conseiller pour la restauration. Je tombe sur un petit bonhomme, un italien. Le gars regarde le banjo. Il est catastrophé, mais « Bon ! On peut, peut être faire quelque chose ».Il enlève le résonateur et il voit le numéro. Là il me regarde troublé : « C’est moi qui l’ai construit quand j’étais apprenti ». L’homme était très âgé. C’était le premier instrument qu’il avait fabriqué et le dernier qu’il allait réparer. Après, il prit sa retraite. Il m’a fait un travail merveilleux. Tout le manche a été refait. Il l’a reverni. Il avait changé toutes les pièces usées. Je me suis retrouvé avec un banjo comme neuf, pour une bouchée de pain. Je vis avec depuis presque 50 ans ! »

Le « Paragon » c’est l’un des modèles haut de gamme de la maison Clifford Essex, il en existe d’autres tels les « Imperial » « Concert Grand ». Sa conception est extrêmement sophistiquée. Il est plus conçu pour le bluegrass ou je jeu en « fingerpicking » que pour le clawhammer (jeu avec le dos de l’ongle). Cependant plusieurs musiciens d’Old Time utilisent des banjos à résonateur comme le Paragon.
La caisse est percée de nombreux trous verticaux, le tone ring de type « arch top » semble suspendu par un système compliqué. S’il est relativement facile à trouver d’occasion ses réparations éventuelles se révéleront ardues. Suivant l’état son prix ira de 1800 € à près
de 3 000 ! On peut l’entendre sur les différents enregistrements de Youra.

                       

Il existe des versions quatre cordes dont certaines atteignent plus de 4000 £ !
La firme existe toujours ses productions sont plutôt orientées vers le banjo classique mais peuvent très bien convenir au style « old time ».

Youra avait une attaque très particulière due entre autres à ses ongles assez longs. Ce n’était pas un adepte du jeu rapide, il affectionnait les ballades un peu lentes qui mettaient en valeur les résonnances de ses banjos.

Salut l’artiste !!

à Lire sur 5planetes un interview de Youra Marcus : https://www.5planetes.com/fr/actualites/banjo-sans-frontiere

 Youra Marcus - Photo P. Krümm